lunes, 18 de octubre de 2010

Texte définitif en français




ECOLE DE HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES
MASTER EN SCIENCES SOCIALES
MENTION : THEORIE ET PRATIQUE DU LANGAGE ET DES ARTS
Année universitaire 2009-2010






Armando LUIGI


ECLECTISME ET PROPAGANDE POLITIQUE DANS « LA EPOPEYA DEL PUEBLO MEXICANO » DE DIEGO RIVERA








Mémoire de Master 2
Sous la direction de Giovanni Careri





“Cuando el mismo artista se impone a sí mismo, en sus producciones, una línea política y hace actuar a su consciente como controlador del subconsciente (a pesar de las buenas intenciones) se produce un arte de baja calidad estética”

Diego Rivera, 1938


Detrás del amanuense se extendían unas termas en cuyas albercas, dispuestas de tres en fondo, se bañaban indios y conquistadores, mexicanos del tiempo de la colonia, el cura Hidalgo y Morelos, el emperador Maximiliano y la emperatriz Carlota, Benito Juárez rodeado de amigos y enemigos, el presidente Madero, Carranza, Zapata, Obregón; soldados de distintos uniformes o desuniformados, campesinos, obreros del DF y actores de cine: Cantinflas, Dolores del Río, Pedro Armendáriz, Pedro Infante, Jorge Negrete, Javier Solis, Aceves Mejía, María Félix, Tin-Tan, Resortes, Calambres, Irma Serrano y otros que no reconocí pues estaban en las albercas más lejanas y ésos sí que eran verdaderamente chiquititos.

Roberto Bolaño
Los detectives salvajes






INTRODUCTION


Cette recherche vise à séparer les brins qui forment le tissu de l'un des projets picturaux les plus ambitieux de Diego Rivera, La epopeya del pueblo mexicano. La peinture, qui accompagne l'escalier principal du Palacio Nacional de México (l'un des bâtiments publics les plus importants du pays, du point de vue symbolique), raconte l'histoire du Mexique depuis l'époque des Toltèques jusqu’à l'époque qui suivra la révolution communiste, selon l’auteur.
À première vue, le travail apparaît comme une multiplication confuse d'affrontements violents et de personnages, mais une observation plus détaillée permet de voir des scènes composées de manière relativement autonome. Une fois passé l'effet hypnotique produit par les couleurs, les lignes et les figures qui couvrent tout le champ de vision, peut commencer le processus de décodage des messages présentés par Rivera.
Évidemment, comme toutes les œuvres d'art complexes, La epopeya del pueblo mexicano est une œuvre ouverte, ambiguë (dans le sens d'Umberto Eco, 1965), qui refuse d'être comprise selon la seule relation du signifiant au signifié. Toutefois, La epopeya del pueblo mexicano se veut, avant tout, une œuvre didactique, universellement compréhensible, qui selon Rivera devrait servir à diffuser le message de la révolution communiste ; à partir de cette proposition, tout le travail doit traduire clairement le message révolutionnaire ; mais dans quelle mesure Rivera est-il fidèle à son idée? Certains faits, en tout cas, parlent en faveur d'une interprétation plus complexe.
En premier lieu, la vie de Rivera a été marquée par l'instabilité : psychologique (dépressions importantes et récurrentes), géographique (il passe d'un continent à l'autre et d’un côté à l'autre du Rio Bravo), et sentimental (il est presque impossible de connaître le nombre de ses amantes au temps qu’il partageait son toit avec quatre femmes successives pendant de longues périodes de sa vie) mais, en même temps, il y a deux aspects d'une stabilité exceptionnelle chez l'artiste : son style de peinture (développé quand il avait une trentaine d'années) et ses convictions politiques, qui se forment un peu plus tôt. Rivera a saisi la doctrine marxiste avec la foi du converti, et n'a pas changé ses idées bien qu'il ait été expulsé deux fois du Parti communiste mexicain, qu'il ait eu une terrible impression de la Russie de Staline, et qu'il se soit lié d'amitié avec certains grands capitalistes des États-Unis. Dans son cas, les convictions politiques ont dicté la recherche esthétique : un message universellement compréhensible, destiné à toucher des gens sans formation artistique, mais enveloppé d'une couverture picturale d'un haut niveau technique, produit de la passion pour la peinture que Rivera a éprouvée pendant toute sa vie.
Deuxièmement, Rivera préfère la liberté créatrice à l'intellectualisation de son travail (RIVERA, D. 1996-1, p. 308), en effet, au-delà des questions qui sont en relation stricte avec des sujets techniques des arts plastiques, Rivera n'a pas été un homme de discours soigneusement structuré, comme en témoigne son œuvre écrite.
La epopeya del pueblo mexicano s'avère être, au-delà de sa vocation pédagogique, un travail libre ; il intègre des éléments qui reflètent les convictions personnelles de l'auteur, et se trouve marqué par l'influence de la biographie et de l'époque contemporaine de la réalisation.
Pour clarifier ce mélange de propagande politique et d’interprétation personnelle dans ce vaste récit de l'histoire du Mexique, j'ai divisé mon travail en deux parties : dans la première, le regard est dirigé vers l'extérieur de la peinture ; dans la deuxième, le regard se tourne vers l'intérieur.
Le premier chapitre met en lumière, en quelques pages, les éléments qui font du Palacio Nacional de México une référence symbolique, en examinant l'histoire de l'édifice depuis sa construction sur l'ordre d'Hernán Cortés, jusqu'aux dernières réformes, au moment où le gouvernent mexicain charge Diego Rivera de la décoration des murs intérieurs du bâtiment.
Le deuxième chapitre est dédié à l'histoire du Mexique, et tente d'identifier les forces qui dominent le pays une fois la révolution finie (l'époque où Rivera revient d'Europe). L'idée est de signaler les lignes d'une situation extrêmement complexe, entre un gouvernement qui s'associe au principal syndicat pour éliminer ses adversaires politiques en utilisant des techniques de gangsters, et un autre qui récupère et puis attaque les principes de la révolution mexicaine.
Le troisième chapitre retrace la biographie de Rivera jusqu’à l'époque où il peint La epopeya del pueblo mexicano, depuis l'enfance d'un fils de fonctionnaire provincial et la période de formation d’un adolescent timide, grand et gros, qui se réfugie dans la peinture, jusqu'à la vie d'un artiste bohème au début du XXe siècle dans Mexico, Madrid et Paris et enfin le retour au Mexique, où Rivera fait des « acrobaties » pour devenir le peintre de la cour.
Le quatrième chapitre (le premier de la deuxième partie) en arrive à la peinture avec un regard dépourvu de références, en suivant la proposition de Panofsky (1967) sur le premier niveau d'approche vers l'œuvre d'art.
Le dernier et cinquième chapitre utilise l’iconographie pour accéder à des idées véhiculées par les figures représentées, en essayant de combiner l'histoire, la biographie et l'art. Ce chapitre se déplace entre les idées qui sont nées de l'ensemble du travail (l'interprétation du temps historique comme un phénomène cyclique, par exemple), et les idées qui partent des différentes scènes (la condensation du caractère national dans la figure du El Mestizo, fils de Cortés et de la Malinche, par exemple).
Les raisons qui m'ont amené à choisir cette oeuvre de Rivera comme objet d'étude sont liées, en premier lieu, au fort impact artistique que j'ai ressenti quand, en 2005, j'ai visité le Palacio Nacional de Mexico. Je ne peux pas dire combien de temps j'ai été fasciné par la force expressive de la peinture murale, entouré par les formes et les couleurs, surpris par l'exactitude de la composition (peu importe où l'on regarde, la peinture suit le rythme), et je profite de l'occasion qui m'est offerte par le master de Théorie et pratique de la langue et des arts à l'École des hautes études en sciences sociales pour revenir à l'œuvre, cette fois, avec le détail presque microscopique du penser académique.
D'autre part, j'ai le sentiment que la peinture de Rivera a été injustement oubliée ces dernières années. On en est arrivé au point où les gens ont entendu parler de Rivera essentiellement parce qu'il a été marié avec Frida Kahlo. Au milieu du XXe siècle, Rivera a été considéré comme le meilleur muraliste du monde et comme l’un des peintres contemporains les plus importants. La force expressive de sa peinture et sa haute qualité technique ont procuré à Rivera une renommée internationale, même dans des milieux où ses convictions politiques étaient proscrites. Le Museum of Modern Art de New York, par exemple, a consacré sa deuxième grande rétrospective à Rivera, après Matisse. Si je ne peux pas savoir exactement quelles raisons ont voué la peinture de Rivera à l'ombre, je présume qu'elles sont en relation avec ses convictions politiques. En tout cas, vingt ans après la chute du mur de Berlin, alors que le monde occidental en est arrivé à un désintérêt généralisé pour la politique, on peut appréhender le contenu propagandiste communiste de Rivera selon la perspective adoptée pour comprendre la propagande catholique chez un peintre comme le Greco. Je pense que c'est un bon moment pour revenir aux muralistes, en général, et à Rivera, en particulier, en reconnaissant leur impressionnante qualité picturale et leur richesse expressive. 
Heureusement, je constate, de par l'apparition de publications et d'autres recherches, que je ne suis pas le seul à penser de cette façon. Les dernières années ont vu une récupération des muralistes chaque fois plus importante.
Du point de vue théorique, j’ai mis à profit la notion de pratique multidisciplinaire apprise pendant mes deux années d'études à l'EHESS. Ma formation universitaire vient de l'étude des lois, des relations internationales et de la littérature ; me consacrer à une recherche sur une œuvre plastique a été un défi intéressant et exigeant. À cet égard, le contact direct avec le travail et le style de certains professeurs du master a été fondamental. L'intuition, la subtilité, la finesse de la perception dans l'analyse d'une œuvre artistique ont éveillé ma curiosité et m'ont encouragé à faire avancer ma recherche. S'il est clair que les lacunes méthodologiques et conceptuelles en ce qui concerne les arts sont à peu près inévitables, j’essaie de compenser en faisant appel à mes études politiques et aux expériences et connaissances que j'ai de l'Amérique latine (je suis né et j’ai vécu au Venezuela pendant 28 ans). En tout cas, j'ai essayé d'être honnête, et d'éviter la tentation de me déguiser avec des citations et des théories que je suis toujours en train d'assimiler.
Si cette recherche peut servir à réveiller, ou augmenter, l'intérêt du lecteur pour l'impressionnant travail de Diego Rivera, et arrive à apporter des idées capables d’enrichir le contact avec son travail, je serai satisfait.
Je termine en remerciant l'exemple de la subtilité et la pénétration des analyses de Giovanni Careri ; la sobriété, l'équilibre et la clarté des interprétations anthropologiques de Brigitte Derlon ; la fluidité et le « savoir être » des cours de Philippe Roger ; la force et l'intelligence des théories de Jean Marie Schaeffer, et l'engagement et l'enthousiasme pour la connaissance des autres enseignants.






I.- L’EXTERIEUR




1 Palacio Nacional de México


Les fondations du bâtiment actuel sont construites sur l'un des palais (Las casas nuevas) de Moctezuma Xocoyotzin (Monctezuma II), qui était l’empereur aztèque quand Cortés arriva à Tenochtitlan en 1519. Cortés l’utilisa comme forteresse lors de sa première entrée dans la ville. Après la conquête armée de Tenochtitlan, le bâtiment subit une reconstruction complète et Cortés en fit sa résidence. En vertu de la nouvelle disposition en grille de la ville, le Palais était en face de l'immense place principale (le Zócalo, aujourd'hui), à proximité du « cabildo » (hôtel de ville) et d’un petit temple aztèque en ruines, probablement dédié à Quetzalcóatl ; sur ces ruines, le même Cortès ordonna la construction de ce qui devint officielment, en 1534, la cathédrale de Mexico[1]. Pour Diego Rivera, l'utilisation des fondations et des matériaux de construction aztèques a une raison pratique mais aussi une valeur symbolique. A propos de l'aspect pratique, Rivera (1996-1 ; p. 376) dit:

La huella de la arquitectura prehispánica sobre la arquitectura hispánica, consiste en que el constructor español debió sujetarse a la traza de la ciudad azteca, por lo que se refiere a Tenochtitlán, para que sus edificios no se hundieran.

Sur la valeur symbolique, Diego Rivera (1996-1 ; p. 388) explique, a partir d’une écriture sur le mur d’un temple chrétien bâti sur un temple indien:

Les ruego a ustedes que vayan a lo que es hoy el edificio de Bienes Nacionales y lean una inscripción que permanece ahí. Está copiada, es un versículo del Apocalipsis de San Juan y dice: —traduzco el latín bárbaramente— “Nada de lo que había existe ya; todo ha sido cambiado, todo es nuevo”. Y del otro lado: “Nada de lo que fue es; todo lo que fue ya no es ahora, es otro lo que es”. Para que no haya lugar a dudas, está en los dos lados de la puerta. ¿Qué significa esto en el edificio del arzobispado? Demuestra una línea política de clase para poder dominar, una minoría tan pequeña como la del invasor español, a una mayoría tan grande como la población india de Anáhuac.”

Cette idée est en rapport avec les études de Louis Marin[2] sur la représentation du pouvoir: les conquérants espagnols s'approprient des espaces situés au-dessus des ruines et remplacent les bâtiments aztèques par des bâtiments similaires du point de vue institutionnel (églises chrétiennes sur les temples païens, palais hispaniques sur des palais aztèques, forteresses de la Renaissance européenne sur les structures de défense précolombiennes, etc.) et reproduisent ainsi dans le monde matériel leur intention de remplacer les élites aztèques sur le plan symbolique, en profitant des représentations déjà existantes qui facilitent l'exercice du pouvoir et le contrôle des populations autochtones. Dans le cas des temples, on pourrait dire que l’idée est de "capturer" le caractère sacré du lieu[3].
Le bâtiment est devenu le siège du vice-roi et a été progressivement agrandi selon les besoins du gouvernement, pour abriter l'administration, la défense et, plus tard, les loisirs (il peut accueillir une arène et quelques « pulquerias »)[4]. Le palais est incendié en 1692, et reste en ruines jusqu'en 1711, avant d'être progressivement reconstruit.
En 1821, Agustín de Iturbide signe à l'intérieur du Palais l'acte d'indépendance de l'Empire du Mexique, et le bâtiment est appelé Palacio Imperial. Il fut le théâtre de quelques épisodes emblématiques des premiers temps du Mexique indépendant : la signature de l'Acte constitutif de la Fédération mexicaine, la promulgation de la constitution fédérale des États-Unis du Mexique, entre autres. En 1824, avec la fondation de la République, le bâtiment prit le nom de Palacio National et fut utilisé par les nouveaux pouvoirs républicains (
COSIO VILLEGAS, 1983). En 1863, le palais passa aux mains de Maximilien de Habsbourg, et fut de nouveau appelé Palacio Imperial , mais l'empereur d’origine autrichienne installa sa résidence sur la colline de Chapultepec. En 1867 Juárez récupéra le palais pour la République et son nom changea une fois encore ; cinq ans plus tard, le président Juárez mourut dans les chambres du Palacio Nacional[5].
Au cours du « Porfiriato » (les trente années de gouvernement du dictateur Porfirio Diaz), le Palais conserve ses fonctions administratives mais n’est plus utilisé comme résidence (Diaz s'installe à Chapultepec, comme l’empereur Maximilien). En 1901, Diaz ordonne les travaux qui donnent au Palais son style actuel, et l'utilise pour des manifestations officielles.
En 1929 le président Plutarco Elias Calles commence d'importantes réformes au Palais ; il fait notamment ajouter un troisième étage et change des éléments décoratifs importants : il remplace la façade, supprime des sculptures, et signe un contrat avec Diego Rivera pour décorer l'intérieur du palais.






2 Mexique


2. 1 Obregón (1920-1924)

Le Mexique, au début des années vingt, était un pays ruiné par une guerre civile qui a duré presque dix ans et n'a pas résolu les contradictions qui l'avaient déclenchée. Le pays contrôlé par les élites locales et les investisseurs étrangers (le Mexique de Porfirio Diaz) n'est pas devenu, après la guerre, le pays nationaliste et populaire des révolutionnaires, mais les anciens chefs politiques et militaires ont été remplacés par un nouveau groupe de noms nés pendant le conflit.
En plus de ruiner le pays, la guerre civile a radicalisé les forces qui se disputaient le pouvoir au Mexique: d'une part, les groupes conservateurs (les investisseurs étrangers, les propriétaires fonciers, les grands industriels, l'église catholique, les dirigeants régionaux et nationaux fidèles à Porfirio Díaz), et d'autre part, les groupes révolutionnaires (les syndicats, les agrariens, les nouveaux dirigeants politiques et militaires, les partis de gauche)[6]. Ces deux groupes n'ont pas lutté solidairement, et les affrontements violents internes ont été fréquents, surtout entre les tendances révolutionnaires (entre syndicats et agrariens, par exemple) ; il y avait en plus la lutte armée entre les nouveaux dirigeants révolutionnaires, qui a été une réalité quotidienne depuis le début de la guerre civile (KENNETH PITTMAN, D., 1989 ; pp. 151-159).
À première vue, l'homme qui prend le pouvoir et va officiellement mettre un terme à la guerre, le général Alvaro Obregón, répond aux aspirations révolutionnaires ; mais les circonstances, son pragmatisme et son désir de devenir le grand « caudillo » du Mexique, lui ont fait adopter une posture opportuniste, de sorte qu'il a été du côté des uns ou des autres en fonction de son propre intérêt. Durant ses quatre années de gouvernement, il a utilisé tous les moyens possibles, légaux ou illégaux, pour affaiblir ou éliminer ses ennemis politiques, indépendamment de leur position dans le spectre idéologique ; il pouvait favoriser ou attaquer sans distinction les différentes forces selon les circonstances. La preuve de son habileté politique est qu'il a réussi à transmettre « pacifiquement » le pouvoir à son successeur, le général Calles (SEMO, E., 1989 ; p. 68).
Bien que l'opportunisme soit la constante, le général Obregón entretenait une étroite, quoique fragile alliance avec le plus grand syndicat du Mexique à l'époque (le CROM), à travers lequel Obregón a utilisé l'intimidation, la corruption, la menace, et la torture pour s'est débarrassé d'un bon nombre d'ennemis politiques ; en retour, le syndicat a obtenu des avantages économiques et l'impunité pour les activités criminelles menées pour son propre compte (SEMO, E., 1989 ; p. 40).

Au cours de ses années de gouvernement, Álvaro Obregón a dû faire face à :
1. La ruine économique de l'État et l'absence de soutien financier : pendant la guerre civile, la durée de vie moyenne des gouvernements du Mexique a été particulièrement courte ; dans un pays ruiné, les gouvernements demandaient aux banques étrangères de l’argent pour essayer de couvrir les dépenses militaires ou éviter l'effondrement économique ; ensuite, les nouveaux gouvernements sont arrivés au pouvoir après avoir combattu jusqu'à la mort les bénéficiaires des prêts ; mais eux aussi étaient dans une situation financière désespérée et avaient besoin d’argent nouveau pour survivre. Dans certains cas (surtout pendant le période de Carranza), le gouvernement mexicain a décidé de suspendre le paiement de la dette, au prix de l'isolement international et du chaos économique. Au moment où Obregón arrive au pouvoir, la crédibilité du gouvernement mexicain en ce qui concerne le paiement de ses dettes est extrêmement faible. Heureusement pour Obregón, le Mexique, pendant la Première Guerre mondiale, est devenu un important exportateur de pétrole, et les investisseurs étrangers ont besoin d'un gouvernement qui garantit un minimum d'ordre et de paix. La Constitution mexicaine de 1917 prévoyait la nationalisation de l'industrie pétrolière ; les dirigeants révolutionnaires (parmi lesquels Obregón lui-même) ont utilisé le discours nationaliste pour soutenir leurs actions ; si l'action d'Obregón avait été cohérente avec son discours, les sociétés pétrolières étrangères auraient dû quitter le Mexique, mais cette décision aurait impliqué de faire face aux gouvernements des puissances internationales, en particulier des États-Unis, et Obregón était dans une position vulnérable économiquement et militairement. Le président a choisi négocier avec des entreprises étrangères tout en ayant, pour les mexicaines, un discours nationaliste. Bien que les négociations aient été lentes et difficiles, les résultats, favorables à Obregón, se sont rapidement manifestés pendant le premier des deux grands soulèvements armés qui ont tenté de mettre fin violemment au gouvernement (SEMO, E., 1989 ; p. 29).
2. Les soulèvements armés : la guerre civile a conduit une grande partie de la population active masculine à prendre les armes ; le Mexique était peuplé d'un grand nombre de seigneurs de la guerre avec des armées privées de différentes tailles, capables de faire face à un Etat central affaibli par la guerre. Ces dirigeants avaient déménagé aux personnages politiques de l'époque de Porfirio Diaz, mais ils reproduisent les structures, à leur manière. Obregón, depuis le début de son gouvernement, a défendu un projet de centralisation (qui, concrètement, consistait à devenir le seul dirigeant du pays), et a essayé de pacifier les régions grâce à la négociation ou à la force des armes. La pacification a été un succès, même si dans certains cas, elle a impliqué l’utilisation de l'assassinat politique (Pancho Villa, l'un des grands noms de la Révolution, qui vivait retiré dans son ranch, a été abattu après avoir fait en public des déclarations peu prudentes). Cependant, entre la négative d'Obregón à accepter l'opposition politique et ces méthodes de gangster, utilisées pour réduire ou éliminer ses concurrents potentiels, le gouvernement a créé un malaise croissant dans l'armée qui a provoqué, en avril 1922, le soulèvement armé de Juan Carrasco[7]. Les négociations avec les États-Unis étaient le prétexte de la révolte. Rapidement, une bonne partie de l'armée est tombée dans l'insurrection, mais le mouvement manquait de propositions et n'a pas gagné le soutien populaire. En quelques mois, avec l'argent et les armes des États-Unis, Obregón, qui pendant la guerre civile avait été un général de premier rang, capture, fait assassiner, et envoyé en exil à la plupart des conjurés ; il en a également profité pour éliminer une grande partie de ses ennemis politiques, même s’ils n’avaient pas participé à l'insurrection ; Obregón a aussi utilisé le soulèvement comme un prétexte pour dissoudre, en avril 1923, les forces armées, en réduisant la puissance de l'appareil militaire dominée par les seigneurs de la guerre locaux, et a encouragé la création d'une armée centralisée sous ses ordres. La deuxième rébellion militaire importante contre Obregón a eu lieu à la fin de sa présidence, quand de la Huerta, un ancien ministre et candidat à la présidence du Mexique, après avoir déclaré que l'élection présidentielle serait truquée, s’est rebellé avec les deux tiers de l’armée, dirigée par des généraux qui se méfiaient d'Obregón, mais qui n'étaient pas nécessairement fidèles à de la Huerta. Les rebelles étaient favorables aux intérêts des « terratenientes » (grands propriétaires) mexicains, ce qui a permis à Obregón de profiter du soutien du mouvement agraire et de son allié traditionnel, le syndicat CROM. Les Américains étaient officiellement favorables au gouvernement mexicain, même si quelques sociétés pétrolières ont secrètement donné de l'argent aux rebelles. Les liens entre les révoltés et les restes du « Porfirismo » (les partenaires du type de gouvernement développé par Porfirio Diaz) ont suscité la méfiance du peuple, qui craignait de perdre les bénéfices obtenus du fait de la sanglante guerre civile. En quelques mois Obregón défait l'armée mal dirigée des rebelles et élimine la plupart de leurs chefs (des milliers d'officiers et plus d’une centaine des généraux sont morts dans le conflit et pendant les mois suivants) (SEMO, E., 1989 ; p. 70).
3. La réforme agraire : l'une des « grandes causes » de la Révolution mexicaine a été la question de la restitution des terres aux paysans qui avaient été dépossédés par les lois de Porfirio Díaz, mais la guerre civile a échoué à briser la résistance des groupes privilégiés par Diaz. Obregón savait que la confrontation directe avec les grands propriétaires fonciers les pousserait à supporter financièrement les actions militaires d'un autre chef militaire contre le gouvernement. D'autre part, les masses paysannes qui, pendant la guerre, suivaient Zapata ou d'autres leaders paysans, demandaient la restitution des terres ; de plus, la réforme agraire a été l'un des éléments-clés du discours révolutionnaire. Au début des années vingt la guerre civile a officiellement pris fin ; les masses paysannes ont organisé des « ligas » pour devenir des acteurs politiques ; certaines de ces ligues ont pris un caractère radical et ont défendu la légitimité de la lutte armée, d'autres ont été plus modérées ; quelques-unes ont adopté des doctrines politiques et, dans certains cas, elles ont même tenté de mettre en place des soviets d'après les expériences développées en Russie. La « solution » d’Obregón quant à cette difficile question de la réforme agraire a été de répondre aux demandes des paysans, mais au ralenti. Le gouvernement mexicain a mis en place des agences pour gérer la livraison des ejidos en suivant une procédure assez compliquée, puis, sous la pression des « ligas », le gouvernement a réglementé l'attribution des terres selon une procédure plus simple. Ce gouvernement a dû trouver des moyens pour indemniser les expropriés et éviter une opposition violente des propriétaires fonciers, mais les finances de l'Etat étaient en crise. Plusieurs lois ont été adoptées et abrogées, et de nombreux dirigeants agraires ont choisi l’option d'occuper les terres d'une manière violente ; cette situation a conduit à des affrontements violents avec les propriétaires et, face à l'immobilisme du gouvernement, le mouvement agraire s’est radicalisé. Obregón a ouvert la possibilité légale pour les propriétaires fonciers de créer leurs petites armées tout en continuant à «prendre en compte» les demandes des dirigeants agricoles. En parallèle, deux rébellions militaires contre le gouvernement d’Obregón ont essayé de promouvoir les intérêts des élites régionales ; dans les deux cas, le mouvement agraire a lutté du côté d’Obregón, non par fidélité, mais parce que les rebelles étaient une option encore pire que le gouvernement. Dans les deux cas, le soutien armé du mouvement agraire a été essentiel pour la victoire rapide d’Obregón, mais les arrangements entre les « agraristas » et le gouvernement ont été de courte durée, et les problèmes entre la position d'Obregón et les demandes des paysans existaient à la fin du mandat présidentiel[8].
4. Les mouvements politiques radicaux : la Révolution mexicaine n'a pas été un combat des discours totalisants ou des idéologies, mais des exigences concrètes sur des sujets spécifiques ; on peut le voir dans le fait que les groupes en guerre, au lieu de suivre certains partis politiques, étaient derrière les « caudillos » qui, pour leur part, cherchaient à répondre aux attentes de leurs partisans, au lieu de s'adapter à une idéologie. Il est clair que chaque groupe avait une façon de comprendre la réalité et une proposition de modèle économique et social plus ou moins spécifique ; au niveau global, on pourrait dire que, quand la révolution éclate, le gouvernement de Diaz est du côté du «progrès » comme il était compris, plus ou moins, dans l'Europe positiviste ; Diaz et ses conseillers, appelés « los científicos » (les scientifiques) ont été les défenseurs de la « modernisation » du pays et de l'application des nouvelles technologies pour augmenter la production à grande échelle (ce qu'ils ont effectivement fait) ; la croissance économique, l’exploitation des ressources et les investissements étrangers ont été les priorités, non pas la satisfaction des besoins populaires; pour arriver à ses objectifs de «progrès», Diaz n'a pas hésité à attaquer les structures économiques traditionnelles et à utiliser les masses défavorisées comme une autre ressource ; le gouvernement, souvent par la force, a déplacé de grandes masses de gens et, souvent, la population active a travaillé dans des conditions de semi-esclavage, sous prétexte d’encourager la compétitivité du Mexique (KENNETH PITTMAN, D., 1989 ; p. 153). Les révolutionnaires, quant à eux, rassemblaient de nombreux groupes d'intérêts, unis seulement par la lutte contre l'ennemi commun ; c'est pour cela que, au début de la Révolution, quand Porfirio Diaz part en exil, et que Madero, leader de l'opposition issu d'une riche famille mexicaine, devient président, Emiliano Zapata, un leader paysan, se déclare en rébellion vingt jours seulement après l’investiture présidentielle. Initialement, la proposition politique de Zapata était d’y aller à la situation antérieure au « Porfiriato » ; avec la guerre, la position de Zapata et d'autres dirigeants populaires est devenue beaucoup plus radicale. Pour sa part, Madero a répondu aux intérêts de la bourgeoisie locale, qui cherchait à s’émanciper du néo-colonialisme imposé par les investisseurs étrangers pendant les trente années de Porfirio Diaz[9]. On pourrait dire que la guerre civile a opposé 1. Un projet de Mexique rural, de petits agriculteurs, ennemi des propriétaires fonciers et des grands capitaux, 2. Un projet de Mexique urbain, qui voulait le développement de l'industrie nationale, en abolissant les privilèges des entreprises étrangères et en changeant les structures économiques traditionnelles, et 3. Un projet de Mexique néo-colonial, qui voulait adapter le pays aux intérêts des investisseurs étrangers et des grands capitaux nationaux, prêt à remplir son rôle en tant que fournisseur des besoins des marchés internationaux (principalement le marché nord-américain). La guerre civile prolongée a montré qu'aucun de ces projets n'a été assez fort pour s’imposer, et a également révélé les faiblesses de chacun d’entre eux. Obregón tente de se déplacer entre ces trois courants, et il a réussi à le faire à travers de fragiles compromis et des promesses jamais tenues. D'autre part, la guerre a obligé les groupes en conflit à se moderniser ; depuis le début des années vingt les courants contemporains de la pensée européenne se sont facilement fait un chemin au Mexique. Des syndicalistes, des coopérativistes, des socialistes, des communistes, et même des fascistes sont apparus dans les premières années de la décennie. En 1922, une victoire du coopérativisme dans les élections des députés a mis en garde le gouvernement sur le potentiel des nouveaux groupes ; le leader du dix-neuvième siècle que fut en grande partie Obregón a mis en marche des mécanismes de répression plus violents. Il a utilisé son allié Morones (leader du plus fort syndicat à l’époque, le CROM) pour attaquer les coopérativistes en utilisant des tactiques de gangster.[10] Les socialistes, malgré leur nombre modeste, ont réussi à s’allier avec l’agrarisme et à faire pression sur le gouvernement pour obtenir des bénéfices. Les communistes, quant à eux, ont été brutalement réprimés du fait de la peur qu’ils inspiraient aux entreprises, mais ont réussi à survivre, même s'ils ne sont jamais devenus une force importante dans la carte politique du Mexique en dépit d'un programme qui pouvait être attractif sur le papier[11]. Pour détruire le mouvement communiste, Obregón a utilisé, encore une fois, le CROM, mais malgré les efforts du gouvernement le Parti communiste est resté actif, et a un poids significatif dans le monde de la culture grâce à la création du journal El Machete[12], et au travail internationalement reconnu des peintres muralistes.

L'une des actions les plus importantes d’Obregón a été l'effort consacré à transformer le système éducatif. L’éducation a été un mécanisme important pour attaquer les vestiges du « Porfirismo », confortablement ancrés dans l'église catholique et parmi les classes privilégiées, qui ont dominé les centres d'éducation. Sous la direction de José Vasconcelos, un intellectuel libéral constitutionnaliste ennemi de Morones, l'État mexicain a lancé une série des réformes visant à développer et à populariser l'enseignement primaire, à réformer l'enseignement supérieur, à construire une identité nationale, et à atténuer les structures de pensée traditionnelles. Vasconcelos a eu une large marge d'action, et n'a pas hésité à l'utiliser, attirant des intellectuels aux idées révolutionnaires, enthousiastes, qui se sont consacrés à élaborer l'appareil symbolique de la nouvelle nation. 
Pour SEMO (1989, p. 62):

Los objetivos de la revolución educativa eran lograr el dominio estatal de la educación según los dictados de la constitución y atacar las estructuras locales del poder porfirista, o sea, apoderarse del principal instrumento ideológico y convertirlo en arma de la revolución.

Les résultats ont dépassé les expectatives, car la majeure partie de la population voulait bénéficier de l'éducation. L'une des priorités du projet de Vasconcelos a été de reconstituer l'histoire du Mexique pour travailler sur l'identité nationale. C'était évidemment une éducation politisée, mise au service du contenu idéologique (souvent au rebours des intentions du même gouvernement), qui a attaqué non seulement les intérêts des élites économiques et l'église catholique, mais aussi les privilèges des « caciques » locaux et les grands propriétaires fonciers[13]. Les agents d'éducation se sont gagné comme des ennemies, surtout à l’intérieur du pays, aux propriétaires fonciers, aux fascistes, à l’église catholique, aux Cristeros, et même, parfois, au gouvernement. Les professeurs en milieu rural ont été souvient victimes de tortures, de mutilations et un bon nombre ont été tués, mais la force du mouvement d'éducation et l'impact sur la société n'ont pas disparu devant la violence (SEMO, E., 1989 ; p. 64).
Cet esprit qui a encouragé l'éducation s'est retrouvé dans le monde de la culture. Des propositions révolutionnaires, conçues pour construire une nouvelle idéologie et faire prendre conscience de la nation, ont reçu un soutien officiel. La littérature, la musique et, surtout, les arts plastiques, ont éclaté d’une manière étonnante:

Se expresó con violencia, belleza, y brillo una nueva interpretación histórica del pasado, el presente y el futuro de México, y sirvió de arma ideológica para destruir el régimen porfirista y construir el de la revolución mexicana (SEMO, E., 1989, p. 65)


2. 2 Calles (1924 - 1928)

Après la répression qui a suivi la révolte de de la Huerta, le parti au pouvoir a gagné les élections presque sans opposition ; la transmission du pouvoir du général Obregón à son ancien ministre Calles a eu lieu comme cela était prévu depuis quelques mois, et Calles, apparemment, a accepté son rôle de marionnette d’Obregón pour lui donner le temps de réformer la Constitution et être réélu quatre ans plus tard. Mais les faits n'ont pas été conformes aux prévisions, et bientôt Calles a manifesté la volonté de se soustraire à l'influence d'Obregón et de gouverner à sa manière, en s'appuyant sur les forces révolutionnaires pour affronter directement ses adversaires et en essayant de réduire le pouvoir de l'ex- Président en attisant la lutte entre Obregón et Morones, le dirigeant du syndicat le plus fort du Mexique, le CROM.
Calles doit gouverner un pays instable, mais relativement pacifié, et qui a un projet à réaliser : la mise en œuvre des objectifs de la Révolution[14]. Malgré son profil de gauche, Calles a été soucieux de maintenir des relations relativement pacifiques avec la bourgeoisie mexicaine. Il a dû faire face à un bon nombre de problèmes hérités du président Obregón, mais le fait qu'il était peu disposé à négocier pendant les trois premières années de son gouvernement a mis le pays, une fois encore, dans une situation de quasi-anarchie qui a coïncidé avec un contexte de grave crise économique (SEMO, E., 1989 ; p. 77).

Durant ses années de présidence, Calles a affronté :
1. La révolte des Cristeros : dans le contexte d'une réforme agraire difficile, entre les propriétaires rebelles et les paysans frustrés, Calles a décidé d'aller contre les restes de l’ancien ordre en attaquant l'un de ses fronts les plus importants : l'église catholique (GONZÁLEZ CASANOVA, P., 1969, p. 41). Sous le prétexte de l'application des principes constitutionnels, le gouvernement mexicain a imposé à l'Église catholique une série de conditions qu'elle n'était pas disposée à accepter (interdiction de posséder des biens immobiliers, contrôle des prêtres et des responsables de l'Église par l’Etat, entre autres), et adopté une attitude provocatrice et sans possibilité de compromis, qui a favorisé la radicalisation du conflit. Depuis l'époque d'Obregón, de nombreux prêtres catholiques profitent des cérémonies religieuses pour attaquer le gouvernement, appeler à la résistance et, dans certains cas, à la rébellion. Une partie des autorités ecclésiastiques étaient convaincue de la nécessité de changer le gouvernement révolutionnaire, en utilisant, en cas de besoin, la violence et les armes. Le Vatican était pour la résistance mais, initialement, n'était pas favorable à la révolte armée[15]. Quand il devient évident que le président Calles ne négociera pas, l'Église catholique décide d'arrêter les services religieux (juillet 1926), et cherche à « réveiller » le peuple mexicain (qui a une forte tradition religieuse) contre le gouvernement ; parallèlement, l’Église attend le soutien américain ; en effet, à la même période, Calles fait face à la question des concessions pétrolières. Le gouvernement a durci sa position, l'Église catholique appelle au boycott économique contre les services publics, le gouvernement expulse les évêques, le Vatican donne l’impression, par ses déclarations, de soutenir la révolte armée, les évêques exilés complotent par le biais de quelques organisations religieuses (essentiellement, les « Caballeros de Colón » ), la violence éclate à la campagne, la répression de la part du gouvernement est si brutale qu’elle génère une violence accrue chez les « Cristeros », nom donné aux couches populaires rebelles et armées. Obregón essaie de faire de la médiation, mais la révolte des Cristeros s'étend à travers tout le pays, dans un esprit de destruction effrénée et sanglante ; il s'agit surtout de paysans pauvres qui, sous l'impulsion du fanatisme, utilisent des méthodes propres à la guérilla et au terrorisme. La nature radicale et incontrôlable du mouvement a effrayé la hiérarchie ecclésiastique, qui peu à peu se détache des Cristeros, mais il faudra attendre des années avant que l’Église n'accepte les conditions proposées par le gouvernement et que la situation ne revienne à la normale. La fureur destructrice des Cristeros ne parvient pas à menacer sérieusement l'État mexicain, qui la réprime violemment, sans être pour autant capable de la faire disparaître. Les Cristeros, combattants fanatiques, ont continué la guerre même s'ils savaient qu'elle était perdue, avec la passion destructrice qui les avait mus depuis le début. La révolte des Cristeros a été le dernier épisode sanglant de la guerre civile mexicaine[16].
2. La crise des concessions pétrolières : le début de la présidence de Calles a coïncidé avec une situation financière relativement saine (par rapport à celle des débuts d’Obregón) qui a permis au gouvernement d'investir des sommes importantes dans le réseau de chemin de fer et dans de grands projets d'irrigation ; mais à partir de 1927, la situation économique a changé, principalement en raison de la contraction des prix des exportations mexicaines. Dès le milieu de la décennie, le gouvernement a essayé d’adopter une loi pétrolière nouvelle qui suscitait la réticence des entreprises car elle leur faisait perdre d'importants privilèges. Calles voulait utiliser la loi comme un outil pour obtenir des avantages au moment de la renégociation de la dette extérieure, mais il a reçu des menaces d'intervention armée de la part du gouvernement des États-Unis (SEMO, E., 1989 ; p. 92). La révolte des Cristeros éclate au moment le plus favorable pour l’intervention armée américaine, mais le gouvernement des Etats-Unis n'a pas pris la décision, Calles ayant proposé quelques solutions attractives. Certaines entreprises pétrolières n'ont pas suivi les réformes de Calles et ont été sanctionnées ; elles ont commencé une campagne de diffamation contre Calles aux États-Unis (début 1927) qui n'a finalement eu aucun effet. Ensuite, les États-Unis ont modifié leur stratégie en envoyant un nouvel ambassadeur, Dwight Morrow, qui est devenu un homme de confiance du président Calles et a favorisé un type de relations de coopération entre les États-Unis et le Mexique, situation qui n'a pas rendu certaines sociétés pétrolières moins hostiles ; quelques entreprises ont pris des mesures punitives contre le gouvernement mexicain, comme la contraction de l'extraction pétrolière au minimum et le licenciement massif des employés.
Dans la dernière année du mandat présidentiel, Calles, pressé par Obregón, a adopté des positions plus flexibles afin de faciliter le retour du « caudillo » à la présidence. Après plusieurs tentatives, la réforme de la Constitution pour permettre la réélection a eu lieu. L'opposition à Obregón était très forte (même Calles ne voulait pas voir l’arrivée du « caudillo » à la présidence) et ses ennemis étaient nombreux. Mais Obregón, en utilisant, comme il savait le faire, toutes les ressources disponibles, a préparé sa campagne pour se faire élire sans aucun souci[17].


2.3 Portes Gil (1928 – 1930)

Obregón a proposé réparer les erreurs de son premier gouvernement et a tenté d'apaiser les tensions suscitées par ses manipulations juridiques ; il a également promis d’attirer les investissements étrangers «honnêtes» et d'encourager l'industrie nationale à travers le modèle de la substitution des importations. Mais les déclarations de bonnes intentions d’Obregón n'ont pas suffi à calmer ceux qui craignaient un président éternel et, peu avant les élections, un complot a été tramé en vue d'un coup d'Etat. Obregón a rapidement maîtrisé la situation (cette fois il connaissait déjà le plan) et, avec Calles, le parti au pouvoir a eu l'occasion d'éliminer, à force d'exécutions, un bon nombre d'ennemis politiques. Comme tout le monde le prévoyait, les élections ont facilement donné la présidence à Obregón, mais cette fois, il n’est pas arrivé au pouvoir : il a été assassiné en juillet 1928 par un Cristero (les bénéficiaires de l'assassinat étaient si nombreux que de nombreuses personnes ont été soupçonnées, et notamment Calles). L'ancien ministre Portes Gil, « obregoniste » connu, élu pour assurer temporairement la présidence, a vite attaqué Morones et le CROM. Pendant sa présidence, un accord a été signé avec l'Église catholique et a donné l'amnistie aux Cristeros. Portes Gil s'est principalement attaché à affermir les institutions créées pendant les dernières années et à renforcer l’État (
SEMO, E., 1989 ; p. 120). En 1929 est créé le Parti Révolutionnaire National, qui a finalement réussi à englober les forces révolutionnaires et a élaboré des mécanismes pour la participation pacifique au pouvoir. Un politicien qui n'avait pas été mêlé aux récents affrontements a été désigné comme candidat à la présidence de ce parti mais, encore une fois, avant les élections, un soulèvement armé a éclaté, qui impliquait divers candidats de l'opposition qui ne voyaient pas de solution autre que la violence pour prendre le pouvoir. Une fois de plus, une bonne partie de l'armée (un peu moins de la moitié) a appuyé la rébellion et, comme d'ordinaire, le gouvernement a démantelé la tentative en peu de temps (deux mois) avant de se consacrer à la persécution des dirigeants, qui seront exécutés ou exilés. Vasconcelos, l’ancien ministre de l'Education, qui était revenu d’un exil auto imposé et s’était joint à la révolte d'Escobar, est retourné aux États-Unis. Les élections ont eu lieu normalement et, comme prévu, elles ont donné la victoire au candidat du gouvernement, Ortiz Rubio.


2.4 Ortiz Rubio (1930 - 1932)

Après une réunion à Washington avec Morrow, Calles et d'autres figures politiques, le président élu du Mexique a déclaré sa décision de geler la réforme agraire et d'encourager les investissements étrangers, en conformité avec la deuxième étape du gouvernement de Calles, c'est-à-dire, au rebours des promesses de la Révolution ; pour soutenir ses déclarations, Ortiz Rubio a mené une répression générale des mouvements prolétaires. Les solutions capitalistes que Calles avait essayé de mettre en œuvre pour résoudre le problème agraire avaient échoué en raison des faiblesses du marché ; par contre, la dette agraire avait augmenté très fortement. Un certain nombre de dirigeants agraires ont été tués au cours de la seconde moitié de la décennie, ce qui n'a pas diminué la force du mouvement. En réponse à cela, les invasions et les affrontements violents ont été fréquents, et des guérilleros agraires ont commencé à apparaître. Une loi adoptée en faveur des paysans en 1927 avait rencontré une vive opposition des propriétaires fonciers, et le gouvernement a décidé de la faire abroger. Malgré cela, les agraristes ont toujours soutenu le gouvernement contre les soulèvements militaires guidés par des forces réactionnaires. Après l'assassinat d'Obregón, Portes Gil a essayé d'exterminer les Cristeros, les communistes et les agrariens, en les désignant comme des facteurs de déstabilisation. A la fin de l'année 1928 et au début de l'année 1929, les communistes et le mouvement agraire ont convenu de faire une alliance défensive ; ils ont menacé d'occuper de force les terres, tandis que les syndicats d'opposition ont adopté un programme violemment anti-capitaliste, guidé par la III Internationale communiste. Quand la révolte d’Escobar a éclaté, les communistes et les agraristes sont arrivés à un accord provisoire avec le gouvernement, mais après l'épisode, les tensions se sont manifestées à nouveau. Le gouvernement a interdit le Parti communiste et plusieurs de ses dirigeants ont été arrêtés, torturés ou tués. A la fin de l'année 1929, le gouvernement a déclaré la fin de la réforme agraire, tandis que le président élu, Ortiz Rubio, assurait à Washington que le problème agraire était résolu. Pendant les années suivantes, le gouvernement a pris la décision de réprimer violemment les manifestations des agrariens et des communistes, et d'exterminer leurs dirigeants. C'est dans ce contexte que Diego Rivera a peint ses fresques murales de La epopeya del pueblo mexicano dans le Palacio Nacional de México, siège du gouvernement.






3 Diego Rivera


3.1 Guanajuato (1886 - 1893)

Diego Rivera est le fils d'un fonctionnaire provincial qui avait étudié pour être enseignant dans l’école primaire ; le pére de Diego Rivera (qui avait le même prénom) était apparemment le fils d'un soldat italien qui avait circulé comme mercenaire en Europe à l'occasion de plusieurs guerres. Mais il est difficile de parler des ancêtres de Diego Rivera en raison de la rareté des documents, mais aussi parce que le peintre n'a eu aucun problème à utiliser son étonnante capacité à raconter des histoires pour élaborer un arbre généalogique romanesque (
MARNHAM, 1998, p. 21). En tout cas, au moment de la naissance de Diego, la famille Rivera résidait dans une maison spacieuse en centre-ville, et possédait des ressources suffisantes pour avoir des employées domestiques. C'était une famille typique de la petite bourgeoisie de l'époque du dictateur Porfirio Diaz.
L'enfance de Diego Rivera a été un peu troublée, notamment par l'instabilité émotionnelle de sa mère. Diego est né avec un jumeau qui est mort quelques mois après et sa mère a été une saison au bord de la folie. Apparemment, une nourrice indienne était en charge de Diego. Elle aura un rôle important dans la reconstruction que Diego Rivera fera lui-même de sa propre vie. Selon Rivera, il a passé ses deux premières années dans la maison de sa nourrice à la campagne, en vivant à l'état naturel à l'instar, en quelque sorte, du Mowgly de Kipling (RIVERA, D., 1991, p. 4):

From sunrise to sunset, I was in the forest, sometimes far from the house, with my goat who watched me as a mother does a child. All the animals in the forest became my friends, even dangerous and poisonous ones. Thanks to my goat-mother and my Indian nurse, I have always enjoyed the trust of animals – a precious gift, I still love animals infinitely more than human beings.

Entre 1944 et 1945, quand Rivera refait sa vie avec la journaliste Gladys Mars (RIVERA, D., 1991), il raconte une série d’histoires compatibles avec le personnage de l'artiste révolutionnaire qu'il avait construit depuis son retour au Mexique après ses années à Paris. Dans certains de ces épisodes, Rivera est représenté comme un jeune révolutionnaire faisant face à des figures d'autorité (mère, prêtre, enseignant) pour découvrir, d’une manière presque toujours violente, les « vérités du monde» : la gestation , la fausseté de la religion, l'ignorance ; dans d'autres épisodes il est présenté comme un petit génie qui surprend les adultes, comme dans l'histoire de Jésus au temple : Rivera est capable de dessiner des plans militaires ; Rivera, enfant prodige, est accepté au sein de la franc-maçonnerie. Ce qui semble certain, c'est la fascination de Rivera, comme beaucoup d'enfants, pour les trains et les appareils mécaniques ; il a dû passer une partie de son enfance à la gare de Guanajuato (MARNHAM, 1998, p. 30).


3.2 Mexico (1893 - 1907)

En raison, peut-être, de problèmes avec les nouvelles autorités politiques (Diego Rivera père était trop libéral au goût du nouveau gouverneur de la province), la famille déménage dans la capitale au milieu de l'année 1893.
Le nouveau domicile des Rivera était voisin du Zócalo, l'immense place centrale de la ville selon le nouveau plan imposé à la cité par Cortés ; le Zócalo fait face au Palacio Nacional : Diego Rivera enfant le voyait donc probablement chaque jour. La présence du Palais était toujours vive, et plus encore dans la deuxième résidence des Rivera, située à l'arrière du bâtiment (MARNHAM, 1998, p. 35). En plus du Palacio, Rivera a été en contact avec les couches basses de la population, la pauvreté urbaine et la misère des paysans venus dans la capitale à la recherche d'opportunités, contact inévitable vu la proximité du grand marché qu'a été toujours le Zócalo. Pendant ces années, le père de Rivera a tenté, sans trop de succès, d'améliorer la situation de sa famille en essayant de profiter de ses contacts politiques avec le gouvernement de Porfirio Diaz.
Malgré les difficultés économiques, Diego et ses frères ont pu poursuivre leurs études à l'école catholique, tandis que son père cherchait pour son fils un débouché dans les emplois offerts par l'État. Rivera n’ayant pas les qualités requises pour une carrière militaire, le père a choisi d'exploiter l'immense talent que l'enfant avait manifesté pour le dessin, et l'a inscrit comme stagiaire à l'école de San Carlos, où les arts occupaient une place importante dans les enseignements. Diego avait alors onze ans, ce qui était un peu tôt pour commencer à l'Académie, mais il est presque certain que son talent extraordinaire a été la clé de son entrée. Selon Rivera lui-même, sa passion pour la peinture remonte aussi loin que le mènent ses souvenirs (RIVERA, D., 1991 ; p 9). Les années à San Carlos sont, pour le Rivera de 1944, d'un faible intérêt et, dans son autobiographie, il accuse ses collègues de se moquer de sa taille démesurée et de son obésité. Rivera dit avoir organisé une révolte chez les élèves qui s'est soldée pour lui par l'expulsion de l’académie (RIVERA, D., 1991, p. 16) ; mais l'expulsion est un autre produit de son imagination, Diego Rivera étant, selon les registres scolaires, diplômé avec les honneurs en 1905 (MARNHAM, 1998, p. 40). De plus, Rivera consigne dans sa biographie quelques bons souvenirs des professeurs de cette académie.
A San Carlos, Diego Rivera a reçu une éducation influencée par le positivisme de Comte ; chez lui, il était sous l'influence catholique maternelle, mais aussi celle des théories ésotériques de son père, qui était franc-maçon. Père et fis consacrent leur temps à la recherche d'une bourse qui donne à Diego la possibilité de poursuivre ses études de peinture à l’étranger. Ils doivent attendre deux ans pour l’obtenir, grâce au gouverneur de Veracruz.
Pendant ce temps, Rivera est resté en contact avec certains des artistes et des intellectuels qui ont vécu dans la capitale, comme par exemple le Dr. Atl, un « avant-gardiste » local. Dans son autobiographie, Rivera affirme (RIVERA, D., 1991; p. 22):

Atl fired me with the desire to go to Europe. My greatest enthusiasm in contemporary European art was then Cézanne, with whose work I had become familiar thought reproductions. However, before I want on to France, I decided to stop in Spain, believing that it would provide a necessary plastic transition between Mexico and modern Europe.





3
.3 Madrid (1907-1910)

Cuando llegué al museo pensaba en Velásquez, después de tantos meses de trabajo del espíritu en estas cosas de pintura pensé que era en él en quien iba a encontrar el gran reconfortante, el gran domador de certidumbres, y te diré francamente que al entrar en la sala lo hice con un pequeño frisson, sí con una sensación que ya es física. Entré así sin ver hasta en medio y cuando vi, me pregunté si había olvidado ver o si había olvidado sentir. Tuve en el espíritu una sensación de sed, sentí frío, me ganó, te lo confieso, me llené de indiferencia, de frialdad, después de tristeza y de duda por mí mismo, y caí en una conversación banal de viajes con dos o tres señores que venían a darme la bienvenida (…) Enfrente del banco están colocados los cuadros del Greco (…) Yo estaba algo anéantl por mi caso con Velásquez y miraba hacia adelante con los ojos, y hacia adentro con el espíritu y poco a poco fui viendo también hacia delante, hacia delante, hacia el descendimiento, la ascensión y la crucifixión y luego mi espíritu vio hacia más allá, hacia donde se puede ver a través de las sinfonías de colores y de emociones, y de esos fondos que son encajes tejidos con misterios de los cuadros del Greco. Entonces, mujer, sentí que mi alma conocía en ese momento algo nuevo (…) Eso que yo tanto he soñado y de que tanto te he hablado, ese amor y ese dominio de la materia tan grande, tan devoto, hasta poner mi alma bajo cada filamento de la pasta, un sentido en cada tono, un goce en cada superficie de cada toque, esa alma sin alegoría, esa sensación intraducible en palabras, ese resumen en una tela de cuanto podemos sentir y desear en una emoción estaba ahí.
Carta a Angelina Beloff fechada el 18 de septiembre de 1910 (RIVERA, D., 1996-1; p. 3 – 4)

Ce fragment écrit par Rivera en 1910 rassemble ce que Rivera a trouvé pendant son séjour en Espagne : le contact avec la peinture européenne, la nourriture « universelle » dont il a besoin en tant qu’artiste, une certaine influence française[18] dans sa manière de parler, et une jeune femme russe, qui fait de la peinture, comme lui. Les photos de Rivera à son arrivée en Espagne montrent un très grand jeune homme, obèse, timide, qui porte la barbe au bas du visage pour avoir l'air « bohème » selon les canons de l’époque[19].
Rivera est arrivé dans un pays pauvre, agraire, avec très peu des communications, réactionnaire et isolé du reste de l'Europe. Il s'établit à Madrid comme élève du peintre Eduardo Chicharro qui, à seulement trente-quatre ans, est connu comme portraitiste et coloriste, et s'adonne à la peinture traditionnelle. Comme il l'a fait dans ses dernières années au Mexico DF, Rivera se lie rapidement avec des artistes et des intellectuels, parmi lesquels circulaient certains représentants de la « Generación del 98 » [20].
Pendant ses années à Madrid, Rivera voyage avec son maître en Espagne et, lors d'une visite à Barcelone, il entre en contact avec la peinture impressionniste ; il ne semble pas particulièrement affecté (du moins, il n’en a laissé aucun témoignage dans ses lettres ou son autobiographie). Les peintures datant de Madrid sont tout à fait traditionnelles, mais on peut constater l’influence de Cézanne (Noche de Avila, 1907, par exemple). A Madrid, comme il l'avait fait au Mexique, Diego Rivera s’est consacré à son travail de peintre avec un enthousiasme et une volonté extraordinaires, qui ont surpris son maître ; et de fait, les progrès, du point de vue technique, n'ont pas tardé à se faire sentir ; mais pendant cette période, Rivera ne se propose pas d'expérimentations conceptuelles[21]. L'une des anecdotes que Rivera recueille (ou fabrique) dans son autobiographie est liée à une visite du maître Sorolla à l'atelier de Chicharro : en voyant les travaux du mexicain, Sorolla a pris la main droite de Rivera et est allé d'un doigt à l'autre en disant que chacun d'entre eux était un chèque en dollars (RIVERA, D. 1991 , p. 29) Apparemment, Rivera est un élève modèle et devient prometteur, même si les œuvres présentées aux expositions ne sont que moyennement acceptées (MARNHAM, P. 1999, p. 79).
Au printemps 1909, Diego Rivera commence « le grand tour » obligatoire en Europe. Les premières semaines il reste à Paris, peut-être avec son professeur. Cette fois, son attention se concentre sur le travail de Puvis de Chavannes (MARNHAM, P. 1999, p. 83) ; peut-être le symbolisme de cet artiste était-il en quelque sorte lié aux croyances ésotériques que Rivera avait reçues de son père et des intellectuels mexicains.
Diego Rivera poursuit son voyage à Bruges où, grâce à une amie commune, il fait la connaissance d'Angelina Belloff, sa première partenaire stable ; on peut voir à travers sa correspondance que la relation a débuté relativement vite. En Belgique, Rivera travaille de manière intensive mais, parallèlement, il a le temps de visiter des musées, des villages, avec l’ancienne et la nouvelle amie.
La prochaine destination est Londres, où Rivera embarque avec les deux femmes et un ami peintre. Il y reste un mois, explore la ville et ses quartiers aux côtés de la peintre russe.
Après Londres, le groupe rejoint Paris ; Rivera s'installe provisoirement dans un studio à Montparnasse. Là, le mexicain travaille sur un nombre de tableaux avec une certaine pression puisqu'il devait en envoyer à son bienfaiteur de Veracruz ; les thèmes sont principalement des paysages urbains ; il y a aussi un portrait d'Angelina Beloff, l'un des rares réalisés par le peintre à cette époque ; il a notamment mélangé les images de son voyage récent avec les enseignements de Chicharro.
Ce séjour à Paris a duré environ un an. C'était une période très productive, stimulée par l'atmosphère de Montparnasse ; il se termine en octobre 1910, quand Rivera part au Mexique afin de présenter son travail, obligation imposée par la bourse d'études qu’il était en train de recevoir du gouverneur de Veracruz. Au Mexique, les travaux de Rivera ont été bien reçus et le peintre a été traité à la hauteur de sa mission : se présenter comme l'une des réussites culturelles du dictateur Porfirio Diaz. Rivera dit dans son autobiographie qu'il a dû partir du Mexique parce qu’il était mêlé à la Révolution, mais dans sa correspondance, il parle de la Révolution comme « desórdenes políticos » (RIVERA, D., 1996-1 ; p. 12) . En fait, Rivera est reparti tranquillement en Europe en 1911 sans savoir qu'il laissait derrière lui un pays qui était en train d’exploser.


3.4 Paris (1911 - 1921)

Quand, après un bref séjour au monastère de Montserrat, près de Barcelone, Diego Rivera vient s'installer à Paris pour un long séjour, la ville est en train de vivre, sans en avoir vraiment conscience, l'un de ses âges d'or dans le domaine des arts plastiques. Dans les cafés de Montparnasse se retrouvent de jeunes peintres qui bientôt deviendront des valeurs universelles : Pablo Picasso, Amadeo Modigliani, Marc Chagall, Marcel Duchamp, Piet Mondrian, Zadkine, Foujita et bien d'autres, ainsi que quelques artistes déjà établis et des écrivains qui ont aussi des intentions artistiques révolutionnaires (Henri Matisse et Guillaume Apollinaire, notamment). Comme auparavant au Mexique et à Madrid, Rivera s’intègre rapidement au coeur de la vie bohème.
Il est évident que, dans ce contexte, un peintre aux sujets et aux techniques classiques n'a pas grand chose à dire ; Rivera se joint tout de suite au pointillisme mais, lors d'un voyage à Tolède avec Angelina Beloff, le peintre mexicain abandonne ce courant et expérimente un type de peinture plus personnel jusqu'en 1913, moment où il rejoint le mouvement cubiste ; ce mouvement, par son caractère révolutionnaire, attire l'attention des galeries, des critiques et, surtout, des acheteurs voués à la chasse des nouveautés. 
A Paris, Rivera commence à vivre de la vente de ses tableaux ; il est en concurrence non seulement avec la nouvelle génération d'artistes talentueux (dont Picasso est la principale référence), mais aussi avec les marchands qui vendent les grands noms de la génération précédente : Renoir, Monet, Toulouse-Lautrec, etc. Comme presque tous les membres de la « République libre de Montparnasse », Rivera doit survivre avec le minimum de ressources, mais garde pendant cette période un niveau de vitalité et de productivité qu'il n'a jamais connu jusqu'alors.
Rivera raconte ainsi son premier rendez-vous avec Picasso (RIVERA, D., 1991 ; p. 58) :

The greatest of the cubists and my idol at the time was Pablo Picasso. I was eager to meet this already celebrated Spaniard, but my shyness prevented me from approaching him directly. Somehow, however, Picasso learned of my feelings toward him and one day he sent me a message through a mutual friend.
This friend, the talented Chilean painter Ortes de Zarete, came to my apartment early one morning. “Picasso sent me to tell you that if you don’t go to see him, he’s coming to see you”.

Quand la guerre éclate, Rivera traverse une période heureuse ; il s'est parfaitement adapté à l'atmosphère folle de Montparnasse, il est bien accompagné par sa peinture cubiste et sa peintre russe. Bien que la guerre ait changé beaucoup de choses, et qu'elle ait dispersé ou mené au front un certain nombre d'artistes (dont quelques-uns ne sont jamais rentrés), la vie continue et Rivera est décidé à la vivre. Au Mexique, la guerre civile est dans l'une de ses périodes les plus violentes ; les envois d’argent au jeune artiste qui est à Paris subissent bien sûr des interruptions. De son côté, Angelina est l'amie de nombreux réfugiés russes qui préparent, depuis l'exil, la révolution communiste. Rivera a été en contact avec la nouvelle doctrine, mais les premiers signes de sa conversion au communisme ne figurent pas dans ses écrits jusqu'à 1921 (RIVERA, D., 1996-1 ; p. 45).
Entre les visites inappropriées de sa mère et les vacances en Espagne, Rivera avance son œuvre plastique, et s'y engage pleinement, comme à son habitude. Pendant la guerre, le marché de l'art s'effondre, les préférences des clients changent, et les cubistes ne se vendent plus comme au début de la décennie ; mais les artistes continuent à occuper les cafés de Montparnasse, qui gardent leur caractère festif. Montparnasse est comme une bulle dans un monde qui se détruit lui-même, mais à mesure que le conflit progresse, les couleurs des peintures s'assombrissent. Certains artistes revenus du front disent à quoi ressemble l'enfer (MARNHAM, P. 1999, p. 138).
En 1915, Rivera tourne finalement son attention vers son pays natal ; il va finir un Paisaje zapatista, également connu sous le nom de El guerrillero[22], ce qui suggère une certaine sympathie pour la révolution mexicaine, même s'il s'agit d'une peinture et non d'une déclaration politique. Mais la situation au Mexique était tellement chaotique, et les canaux pour suivre les événements à distance tellement faibles, qu’il est très difficile de penser que Rivera a interprété la révolution mexicaine en utilisant l’optique communiste, comme il l'a fait plus tard.
En 1916, pour les montparnois, Paris était une fête. Jean Cocteau explique qu'à l'époque il y avait deux bandes rivales dans le quartier ; l'une se composait de « Picasso, Modigliani, Rivera, Kisling et moi » (MARNHAM, P. 1999, p. 148). En effet, l'envie et les conflits entre les artistes ont toujours été fréquents, et périodiquement l'un ou l'autre ont été exilés (parfois temporairement, parfois à vie).
Rivera, qui avait jusqu'alors été un partenaire exemplaire, a commencé une relation parallèle avec une poète russe ; il semble que l'influence de Picasso ne s'exerçait pas seulement dans le domaine de la peinture. C'était une relation orageuse qui a mené à la naissance d’une fille que Rivera n'a jamais reconnue, apparemment parce qu’il soupçonnait que le véritable père était, précisément, Pablo Picasso (MARNHAM, P. 1999, p. 176).
En 1917, l'une des nombreuses discussions sur l’art dans les cafés de Montparnasse se termine par des coups entre Rivera et le poète Pierre Reverdy. Cet incident marque le début d'une sorte de «guerre» entre les poètes, qui se moquent des cubistes par écrit[23], et les cubistes, qui insultent les poètes de vive voix. Cet épisode peut avoir contribué à changer la recherche picturale de Rivera ; en effet, à partir de ce moment, il s’éloigne du cubisme pour se rapprocher une autre fois de l'œuvre de Cézanne, même si officiellement il est resté du côté des cubistes. Tout ce processus a coïncidé avec la vie d'un enfant que Rivera a eu avec Angelina Beloff, mais « le petit Diego » est mort à quatorze mois, victime des conditions de vie misérables chez ses parents. Selon Marnham (1999, p. 133) le Mexicain a fait de son mieux pour rester, en apparence, en dehors de la tragédie.
En 1918, la situation de Rivera à Paris commence à se dégrader. Le front de la guerre s’approche de la capitale française comme jamais auparavant, et de nombreux artistes ont quitté la ville. Montparnasse a perdu beaucoup de son caractère festif. De plus, la situation économique de Rivera est en train de toucher le fond, ses tableaux ont été peu vendus et l'agent avec lequel il avait signé un contrat d'exclusivité tente de faire pression sur lui pour le faire changer de style ; Rivera refuse, et la relation avec son agent empire au point que le marchand cesse de proposer les peintures du Mexicain, sans signer la résiliation du contrat ; Rivera avait les mains liées, incapable qu'il était de trouver un autre agent ou de gagner sa vie grâce au travail artistique, le seul qu’il savait faire. À cette époque, l'épidémie de grippe arrive à Paris et va tuer, entre autres, Guillaume Apollinaire.
Rivera se sentait isolé des groupes d'artistes qui étaient restés à Paris, et même sa relation avec Picasso s'était refroidie. La vie amoureuse de Rivera était confuse, il n’arrivait pas à couper ses liens avec la poète russe mère de sa fille ; Angelina Beloff avait connaissance de la situation, et les scènes étaient fréquentes. Mais peut-être la chose la plus grave de toutes était qu'une fois éloigné du cubisme, Rivera ne savait plus où diriger son activité créatrice (MARNHAM, P. 1999, p. 169).
Rivera a trouvé le moyen de changer sa situation en sollicitant l'aide du nouveau gouvernement mexicain ; il a profité des ambitieux projets mis en œuvre par Obregón pour obtenir du ministre de l'Éducation, José Vasconcelos, de l'argent pour aller plus d'un an en Italie, où il apprendra les techniques de la peinture murale pour les utiliser ensuite au Mexique. 
Ainsi, au début de l'année 1920, Rivera quitte Paris et commence sa tournée en Italie.
A Florence, il travaille avec une énergie débordante. Il profite du contact direct avec la Renaissance italienne pour étudier Giotto, surtout. Il passe par Sienne, Arezzo, Pérouse, Assise, Rome, Naples et la Sicile, fait une enquête plastique sur les tombes étrusques. Dans ses lettres il parle des travaux de Masaccio, Uccello, Raphaël, entre autres. Pendant l’année et demie passée en Italie, Rivera utilise sa grande capacité d'apprentissage pour se nourrir de la culture artistique classique du pays.
Au printemps 1921, Rivera revient à Paris pour préparer son retour au Mexique. Il dit au revoir à quelques amis qu'il a encore dans la ville, dit adieu à Marevna, la poète russe qui avait été son amante, promet à Angelina de lui envoyer du Mexique l'argent nécessaire pour le rejoindre, et en juillet, embarque au Havre à destination de Veracruz (MARNHAM, P. 1999, p. 188).


4. 5 Mexico (1921-1930)

Le dernier séjour de Rivera au Mexique correspond aux derniers jours de Porfirio Diaz. A cette époque, le Mexique était un pays adapté aux intérêts des grands capitaux (surtout étrangers) ; il était dominé, sans opposition visible, par les forces conservatrices : l'Église catholique, une structure sociale rigide et pyramidale, et l'armée employée comme organe de contrôle et de répression du gouvernement. Lorsque Rivera est revenu au Mexique, en 1921, le pays avait changé de façon radicale ; d'une part, la guerre civile avait laissé la campagne en ruines ; d'autre part, le gouvernement était aux mains d'un « caudillo » qui défendait, proposait et, quelquefois, suivait, le discours populaire révolutionnaire.
Entre 1916 et 1920 Rivera a du assimiler l’idéologie marxiste, ce qui a peut-être coïncidé avec la crise qui a eu lieu vers 1918 quand, pour diverses raisons, il s’éloigne du cubisme[24]. Cela a été un moment difficile pour Rivera, et il a probablement eu la sensation de perdre le nord ; il est possible que la doctrine marxiste ait donné à Rivera des outils pour essayer de résoudre sa confusion. Le marxisme, comme le cubisme, proposait une rupture avec le passé, mais il avait l'avantage de pouvoir être utilisé pour comprendre la quasi-totalité des activités humaines, quand le cubisme était seulement utile pour transformer la peinture. Le marxisme, comme discours totalisant, avait des affinités avec les doctrines ésotériques que Rivera avait apprises de son père, doctrines qui essaient de découvrir les lois fondamentales de l'univers ; le marxisme, pour sa part, essayait d'expliquer les lois qui régissent l’histoire de l'humanité. De plus, par le biais du marxisme, Rivera pouvait trouver un guide pour sa vie, il pouvait se convaincre que son destin était d'utiliser son talent créatif pour impulser une révolution communiste qui favoriserait l'égalité, la paix et le bonheur de l'humanité. Mais le marxisme pratiqué par Rivera, contrairement à beaucoup d'autres, était plutôt solitaire. Rivera a démontré, tout au long de sa vie, qu’il était très individualiste ; quand il a voulu intégrer des groupes, cela s'est presque toujours mal terminé pour lui. Au cours des années parisiennes Rivera n'a pas été membre d'un parti politique ; il n'a pas non plus suivi les lignes directrices d'une organisation ; quand une personne avait de l'influence sur lui (par exemple, Pablo Picasso, ou l’intellectuel français Elie Faure), c'était grâce à l'amitié, non à la contrainte ou à la hiérarchie. Rivera n'a jamais développé d'activités de conspirateur, et a été transparent quant à ses idées politiques tout au long de sa vie (on pourrait dire que l'obsession qu'il avait de les révéler a eu un caractère autodestructeur, par exemple, dans l'épisode du Rockefeller Center). Quand Vasconcelos a décidé de profiter du talent de Rivera pour travailler à la reconstruction de l'identité mexicaine (et remplacer le pouvoir idéologique toujours détenu par les partisans du système qui soutenait Porfirio Diaz), Rivera a eu l'occasion de développer son idéal : devenir peintre révolutionnaire[25].
L'enthousiasme de Rivera était important pour Vasconcelos, et même si l’idéologie du peintre n'était pas celle du régime (Obregón n'a pas hésité à réprimer violemment les communistes), l'incapacité du peintre à agir en leader politique et son désintérêt pour la conspiration semblent avoir été des raisons suffisantes pour lui pardonner son marxisme. En fait, la première fois que Rivera a été expulsé du Parti communiste mexicain (1925) les camarades ont fait sortir à la lumière, entre outres accusations, ses relations amicales avec le régime (MARNHAM, P. 1999 ; p. 229). La présence du « peuple mexicain », la « lutte des classes » et la « rébellion contre l'ancien système », éléments du travail de Rivera, était apte à transmettre le message qui intéressait Obregon.
La première œuvre commandée par Vasconcelos, peu après la mort du père de Rivera, est une peinture murale à La Escuela Preparatoria Nacional appelée Creación ; le thème a été choisi librement par le peintre, mais dans son développement Rivera a tenté de s'adapter à la pensée de Vasconcelos, combinant des harmonies de Pythagore, du symbolisme religieux, des allégories classiques, et quelques figures du Mexique, dans un effort de synthèse qui a donné naissance, un an plus tard, à une oeuvre murale ridiculisée par quelques peintres et intellectuels mexicains, qui a laissé le public indifférent, et qui n’a pas été satisfaisante pour Rivera. Mais apparemment il y a eu une bonne entente entre le peintre et celui qui dirigeait la politique éducative et culturelle du Mexique puisque, malgré les résultats de sa première peinture murale, Rivera fut rapidement recruté pour de nouveaux emplois.
En automne 1922, Rivera s’est inscrit au Parti communiste mexicain et a fondé l'Union révolutionnaire des travailleurs techniques, peintres et sculpteurs (Sindicato Revolucionario de Obreros Técnicos, Pintores y Escultores) avec d'autres muralistes (Siqueiros et Guerrero), avec qui il allait bientôt avoir des désaccords, si bien qu'il a fini par être le seul peintre de l'organisation (MARNHAM, P. 1999 ; p. 218). Peu de temps après la fondation de l'Union, Rivera s’est marié avec Guadalupe Marin, une femme d'origine indienne aux yeux verts, qui a servi de modèle pour un bon nombre de ses œuvres pendant cette période.

Rivera a ensuite reçu plusieurs commandes de Vasconcelos. Des œuvres telles que La Bañista de Tehuantepec (1923) montrent déjà le style caractéristique de Rivera. Après le contact quotidien avec le milieu rural, Rivera a travaillé avec aisance les thèmes mexicains, a fait la synthèse des couleurs vives, des formes géométriques héritées du cubisme, des représentations presque universellement compréhensibles, a proposé aussi une lecture personnelle du passé historique, des éléments de la philosophie présocratique, de la franc-maçonnerie et du symbolisme fin de siècle, des références à l'iconographie chrétienne, et a ajouté des contenus politiques révolutionnaires[26].
Pendant l'année 1924, Vasconcelos, pour des raisons politiques, quitte son poste, et le programme de peintures murales se termine ; cependant, Rivera parvient à se lier au nouveau secrétaire de l'éducation, et le gouvernement mexicain lui demande de nouvelles peintures murales. Depuis le début du programme de Vasconcelos, le travail des muralistes avait été attaqué par les forces réactionnaires, et certains étudiants sont allés jusqu'au vandalisme. Toutefois, sur la scène artistique internationale, le travail de Rivera a progressivement acquis une renommée, et des gens comme l'écrivain T. H. Lawrence ou le photographe Edward Weston sont allés voir Rivera sur les échafaudages, comme s'il avait été l'une des visites touristiques obligatoires de la capitale mexicaine. Dans certains cas, ces visites ont débouché sur une relation amicale, parfois pour toute la vie. Rivera savait être très gentil quand il le voulait et, en fait, après une décennie passée à Paris parmi les artistes d'avant-garde, il a été reconnu comme un «bon vivant» et un homme du monde. Au Mexique, par contre, le milieu artistique avait tendance à considérer Rivera avec hostilité, et lui-même a alimenté cette situation par ses discours et ses écrits attaquant les peintres, les galeries et les critiques d’une manière très acide, par exemple (RIVERA, D. 1996-1 ; p. 244) :

Los sacerdotes y sacerdotisas establecieron almacenes, para los cuales los antiguos imitadores de Rivera, Orozco y Siqueiros –pintores vueltos inimitables por demasiado conocidos, lo cual destruyó el negocio de sus plagiarios—fueron empujados hacia la fabricación en serie de Picassos para pobres, Chiricos para familias venidas a menos y Mirós para personas ahorrativas.

Pendant le gouvernement d'Obregón, les travaux de Rivera, Siqueiros, Orozco et Guerrero ont été utilisés pour promouvoir le mouvement syndical et attaquer les « porfiristas ». Obregón avait des arrangements avec le principal syndicat du Mexique (le CROM) mais il était sous la menace constante des forces qui avaient soutenu Porfirio Díaz (l'Église catholique, les propriétaires fonciers, les grandes entreprises nationales et étrangères). Une fois Obregón bien installé, les relations avec les forces conservatrices s'améliorent mais, du point de vue du discours politique, le côté populaire de la Révolution mexicaine a été constamment utilisé pendant la présidence d’Obregón. Sur cette base idéologique, Obregón a réprimé les deux grands soulèvements militaires contre son gouvernement et a révélé les liens entre les rebelles et le Mexique de Porfirio Diaz : de ce fait, les soulèvements n’ont pas eu le soutien populaire. De plus, le mouvement agraire, qui avait une forte capacité de mobilisation, a décidé de soutenir Obregón contre les rebelles parce qu’il se présentait comme le moins dangereux pour les intérêts agraires des deux forces en conflit. L'effort de Vasconcelos et des muralistes a pu beaucoup contribuer à renforcer l'idée de proximité, plus symbolique que réelle, entre Obregón et l’agrarisme.
Une fois qu'Obregón a transmis le pouvoir à Calles, le nouveau président réutilise les valeurs révolutionnaires pour attaquer les propriétaires fonciers, l'Église catholique, et faire pression sur les entreprises étrangères, principalement les compagnies pétrolières américaines, pour obtenir des accords plus favorables au gouvernement mexicain. Rivera est favorable aux objectifs du nouveau gouvernement, même si le Parti communiste mexicain est constamment attaqué par la police. Entre 1926 et 1927, Rivera peint dans la chapelle de Chapingo l'un de ses nus les plus érotiques, qui représente la terre mère fertile, et sur un autre mur, la terre mère esclave, représentée pour une femme maltraitée à côté d'un soldat, d'un capitaliste et d'un prêtre, représentés d’une manière grotesque. La société conservatrice a eu une réaction d'horreur, mais la controverse a servi à Rivera pour diffuser son nom. Les autres murs du palais de Cortés à Chapingo étaient couverts des scènes de la conquête espagnole du Mexique, annonçant le style de travail que Rivera fera trois ans plus tard au Palacio Nacional de México[27].
La promiscuité sexuelle que Rivera a développée au Mexique suivait le même rythme que sa renommée. En 1926, l'artiste a commencé une relation avec Tina Modotti, modèle qui avait pour amant le photographe Edward Weston ; Modotti était aussi photographe et Rivera l’ a proposé d’immortaliser le processus de création d'une peinture murale. Modotti a été ensuite modèle de Rivera, et a été représentée sur différents murs de Chapingo ; enfin, Lupe Marin, la femme de Rivera, après de nombreuses scènes de jalousie, est partie (MARNHAM, P. 1999 ; p. 244).
A la même époque (1927) Rivera a été invité en l'Union soviétique ; avant d'y arriver, il a passé deux nuits à Paris et quelques jours à Berlin ; il raconte quelques anecdotes curieuses à propos de cette dernière ville dans son autobiographie[28]. A Moscou, les choses ne se sont pas bien passées ; Rivera a commencé son séjour par une pneumonie, puis a été en désaccord avec les bureaucrates soviétiques ; Rivera ne pouvait pas commencer les fresques pour lesquelles il avait fait le voyage. Les mois à Moscou se sont passés entre retards causés par le Parti communiste soviétique et problèmes avec des fonctionnaires. Rivera a saisi la première opportunité qui s'est offerte pour quitter l'Union Soviétique (MARNHAM, P. 1999 ; p. 251). Quelques années plus tard, il a comparé la Russie de Staline avec les gouvernements fascistes d'Italie et d’Allemagne (RIVERA, D. 1996-3, p. 63).
En juin 1928 Rivera était de retour au Mexique, pour reprendre son poste de peintre de la Cour. Il a fini les peintures murales qui étaient en attente, puis s'est consacré pendant sept mois à la politique, dans l'atmosphère tendue qui a suivi l'assassinat du général Obregón, président élu en 1928. Le chef du gouvernement temporaire, l'obregoniste Portes Gil, a interdit en mars 1929 les activités du Parti communiste mexicain ; en septembre, Diego Rivera a été expulsé une seconde fois du parti, accusé de nouveau d'ambiguïté dans sa position politique et de trahison à la Révolution, parce qu’il n’était pas prêt à affronter le gouvernement. En effet, Rivera non seulement restait loin de la lutte entre les autorités et les communistes, mais il venait aussi d’accepter des commandes publiques. En fait, Rivera a signé un contrat pour réaliser un travail qui aurait pu occuper le reste de sa vie : décorer l'édifice public le plus important du Mexique, le Palacio Nacional.


EEUU (1930 -1932)

Comme pour renforcer les accusations de ses anciens camarades du parti, Diego Rivera a laissé en attente le travail du Palacio Nacional pour franchir la frontière américaine avec Frida Kahlo, sa nouvelle épouse. Pour Rivera, le travail à San Francisco n’était pas un acte de trahison envers la révolution, mais au contraire, une façon de propager cette dernière à travers sa peinture, l'outil qu'il maîtrisait le mieux (
RIVERA, D. 1991, p. 105):

Unos meses después de mi regreso a México fui expulsado del Partido. Desde entonces, he permanecido en una posición que es característicamente mexicana, o sea la del guerrillero. No podía recibir mis municiones del Partido, ya que el Partido me había expulsado; tampoco podía yo adquirirlas mediante mis fondos personales porque no los tengo. Las tomé y las seguiré tomando como debe hacerlo un guerrillero, del enemigo. Por lo tanto, tomo las municiones de las manos de la burguesía. Mis municiones son las paredes, los colores y el dinero necesario para alimentarme para poder seguir mi trabajo. En las paredes de la burguesía, la pintura no puede siempre tener un aspecto de lucha como lo hubiera tenido en las paredes de, digamos, una escuela revolucionaria. El guerrillero a veces puede descarrilar un tren, a veces puede volar un puente, pero a veces solamente puede cortar unos cuantos alambres telegráficos. Cada vez hace lo que puede. Ya sea importante o insignificante, su acción siempre está dentro de la línea revolucionaria. El guerrillero siempre está listo, en el momento de la amnistía, para regresar a las filas y convertirse en un simple soldado como todo el mundo. Fue en calidad de guerrillero como yo vine a los Estados Unidos.

À San Francisco, Diego Rivera se trouve dans une situation contraire à celle qu’il avait vécue à Moscou : l'arrivée de l’artiste mexicain attire l'attention des journaux, de nombreuses personnalités locales ont voulu faire sa connaissance ; il avait les moyens de se déplacer librement dans la région et, surtout, il avait reçu une latitude considérable pour développer ses idées artistiques (MARNHAM, P. 1999, p. 286). Rivera a dit de son expérience à San Francisco (RIVERA, D. 1991, p. 105) :

I was enormously excited. This would be a crucial test of my mural techniques. Unlike Mexico, the United States was a truly industrial country such as I had originally envisioned as the ideal place for modern mural art.

Une fois la peinture murale finie (une oeuvre assez neutre du point de vue révolutionnaire politique : il s’agit d’une femme qui représente la richesse de la terre, protectrice des ouvriers, des scientifiques, des entrepreneurs, des paysans) Rivera accepte une invitation à passer quelques mois dans le château de campagne d'un membre de la jet-set locale. Là-bas, Rivera en profite pour développer ses relations avec les élites des États-Unis, et accepte quelques projets artistiques.
En 1931, il doit retourner, presque contre son gré, aux travaux de l'escalier du Palacio Nacional (La epopeya del pueblo mexicano), dont il va réaliser les deux tiers en quelques mois.





II.- L’INTERIEUR


4 Description

4. 1 Mur principal

La peinture recouvre la surface du mur qui accompagne l'escalier principal du Palacio Nacional de Mexico. La surface totale du mur principal est de 144,29 mètres carrés (
LOZANO, L. et CORONEL, 2008; p. 196). Le récit suit une ligne en zigzag de bas en haut, en créant l'aspect de couches superposées, de la plus ancienne, en bas, à la plus moderne, en haut.
La couche inférieure montre une bataille entre des chevaliers en armure et des guerriers habillés comme des animaux. Le sol sous les pieds des hommes et des chevaux est jonché de corps humains et d’armes. A partir du centre de la couche inférieure, deux groupes de chevaliers s'avancent : l'un vers la gauche, l'autre vers la droite, selon un mouvement parallèle à l'escalier. À droite, les chevaux avancent sur les corps étendus des guerriers habillés comme des animaux ; l'un d'eux plonge son couteau de silex dans le ventre d'un cheval. Vers la gauche, la situation est plus confuse, car dans la bataille contre les guerriers habillés en animaux, les chevaliers en armure se mêlent aux guerriers à la peau sombre.
Les deux groupes de chevaliers arrivent chacun à la zone de défense des murailles opposées. A droite, un canon jette une flamme orange et un nuage de fumée blanche. Derrière le canon, un homme protégé de pièces d'armure tire un coup de fusil aux côtés d’un guerrier à la peau obscure qui, lui, utilise un arc. Derrière eux se trouvent l’artilleur et un autre soldat à la peau blanche qui se prend la jambe comme s'il était blessé. Derrière cette scène, un soldat armé d'un fouet contrôle un groupe de personnages à la peau foncée qui travaillent à l'aide de pioches et de pelles.
A gauche, les chevaliers arrivent derrière un groupe de guerriers habillés en animaux qui essaient de frapper une muraille ; en haut, on peut voir des soldats à la peau blanche armés de fusils et des archers à la peau brune armés d'arcs. Derrière l'épisode de défense de la muraille, un soldat essaie de contraindre une femme à la peau foncée. Au-dessus, en symétrie avec la flamme du canon à droite, un feu orange consume des textes écrits en hiéroglyphes. Derrière le feu, on voit un prêtre et à côté de lui, un groupe de gens à moitié nus qui attendent d'être marqués au fer rouge ; des personnages à peau blanche assemblés en demi-cercle emploient le fer rouge sur un homme.
De retour au centre de la peinture, au-dessus des chevaliers, se trouve un aigle doré sur un cactus, posé sur un piédestal en pierre marqué d'un symbole circulaire rouge ; l'aigle tient dans son bec un objet ressemblant à un tissu rouge et bleu ; de chaque côté se trouvent des personnages à la peau sombre, immobiles, à l'exception de celui qui souffle dans un coquillage pour le faire sonner.
La scène des ouvriers, à droite, sert de préambule à la scène dans laquelle un soldat et un commerçant portant un chapeau à plumes sont debout à côté du corps étendu d'un homme à la peau obscure ; on voit également un soldat avec un couteau et un personnage qui tient un sac de pièces d'or dans ses mains ; un prêtre en face d'eux lève une croix, tandis qu'une famille à la peau foncée embrasse ses genoux. Vers le centre, à côté du prêtre, quelques figures de l’église catholique reçoivent des fruits de la part d'un couple à la peau foncée vêtu avec élégance. A côté de ce groupe, plusieurs personnages mi-nus attendent immobiles, en ligne, près d’un font baptismal. Juste derrière eux, un groupe d’hommes à la peau blanche et aux vêtements noirs est en train de mesurer des grains et d'écrire sur des feuilles de papier.
Sur la gauche de la composition, derrière la ligne des personnes qui vont être marquées au fer, un soldat est à côté de deux hommes blancs, tous trois dirigeant un certain nombre d'hommes qui érigent un mur avec des blocs de pierre. Voisine de cette scène, une femme serre contre elle un enfant à la peau sombre, et tout à côté d'elle, des personnages masqués en noir entourent une tribune où sont deux hommes qui portent des mitres coniques; un groupe de prêtres est autour des feux, un moine tient à la main une croix tandis qu'un autre tient un livre.
En haut, la peinture suit les cinq arches du bâtiment. Dans l'arc d'extrême droite, un officier dirige une salve de tirs qui émettent un nuage de fumée blanche ; derrière l’officier un soldat habillé en bleu est en train de nourrir un chien mexicain ; au-dessus de cette fumée, un aigle brun tient entre ses serres une sorte de comète ; au loin se dessine une forteresse avec un drapeau.
L'arche de l'extrême gauche montre aussi une salve de tirs, un nuage de fumée blanche et, de même, un aigle couleur de cuivre qui vole avec une couronne sur la tête ; au fond, loin, on distingue un ensemble de bâtiments entre les montagnes ; l'un d'eux est une église chrétienne. Toujours dans cette partie de la fresque, derrière la ligne d'armes à feu, vers le centre de la peinture, plusieurs soldats menacent avec des fusils un groupe de citoyens, dont l'un porte une longue barbe blonde.
Le deuxième arc (en allant de droite à gauche) présente une scène où gens de l'église et militaires regardent un couple d'ouvriers agricoles portant péniblement leur fardeau ; au-dessus des paysans, un soldat plonge son épée dans un coffre de pièces d'or ; à côté de lui, on voit un groupe de personnages divers et, au fond, des lances ornées de foulards rouges. En haut, au centre de cet arc, apparaît le dôme d'une église, et, à gauche de ce dernier, un groupe d'hommes en costume, dont l'un tient un papier qui dit “Constitución de 1857. Leyes de la Reforma”.
Dans le deuxième arc en partant de la gauche, deux groupes de personnages sont face à face avec des armes et des textes ; une foule immobile de paysans les regarde, tournant le dos au spectateur de la peinture. Derrière la foule se trouvent des plates-formes pétrolières avec des noms en anglais et quelques bâtiments avec des noms en espagnol.
La foule des paysans de dos se prolonge vers l'arc central ; dans ce dernier, un homme couronné et vêtu de rouge est entouré d'un groupe de militaires ; un soldat en armure tenant un mousquet pointe son épée vers eux ; à côté de lui, divers personnages lèvent des drapeaux. Derrière le groupe, on aperçoit les têtes de deux travailleurs chargés, et plus haut, une foule de chapeaux et une bannière où on peut lire "Tierra y Libertad" ; à côté de la bannière, un ouvrier en bleu pointe son doigt vers la gauche.

La composition plastique du mur principal est en conformité avec certaines fresques des temples mayas à Yucatán[29] ; Rivera a visité le complexe de temples l’anné 1921 avec Vasconcelos (
MARNHAM, P. 1999, p. 199).



4. 2 Escalier à droite

En bas à gauche de ce fragment de la peinture, on voit une bataille entre des guerriers habillés en animaux, armés de gourdins, et des guerriers à demi nus armés de lances ; des deux côtés, des morts sont étendus à terre.
Derrière la bataille jaillissent des langues de feu ; à côté, une ligne de travailleurs forcés monte péniblement des sacs qui sont déposées aux pieds d'un personnage paré de plumes blanches ; derrière ce personnage se trouve une pyramide. En bas, là où commence la ligne d'esclaves, un homme lève le bras tout en parlant devant un demi-cercle de jeunes gens qui le regardent attentivement. A côté de cette scène, des hommes et des femmes se consacrent à différentes activités : la sculpture, le tissage, la plantation, la récolte, la peinture, le travail des métaux, l’écriture, la céramique, la musique et la danse.
Au centre, en haut, un homme blond, barbu, portant une coiffe ainsi qu'une tunique ornée d'un blason, est assis et parle à deux groupes de personnages à la peau foncée penchés vers lui. A gauche de cette scène, quatre hommes vêtus de pagnes sont debout, les bras tendus, hiératiques. Derrière ces quatre hommes, à l’arrière-plan, on distingue un volcan en éruption, d'où sort ce qui ressemble à la tête d'un énorme serpent à plumes, orientée vers un soleil qui, tête en bas, laisse voir ses yeux et son nez. A droite du soleil, l’homme blond s’éloigne sur le dos d'un énorme serpent.


4. 3 Escalier de gauche

De nombreux personnages couvrent tout l'espace, à l'exception de l’extrémité supérieure. En bas, parallèlement à l'escalier, trois personnes travaillent la terre ; deux femmes et un homme enseignent à un groupe d’enfants ; puis il y a quelques ouvriers, l'un d'eux désignant avec un sourire ce qui est derrière lui. Dans cette première zone, trois figures communiquent avec ce qui serait la deuxième couche de personnages.
Le premier est un homme avec un chapeau et un pistolet, accompagné d’un chevalier qui, également armé, fait partie d'un groupe qui se trouve aux pieds des deux pendus. Un peu à gauche, quelques manifestants font face à un groupe d’hommes armés de pistolets. Le deuxième point d’union entre les deux couches de personnages est un homme aux bras ouverts qui semble crier vers l'endroit où quelques femmes déposent de la monnaie dans une machine qui sert de pont vers la troisième couche de personnages.
Dans la troisième couche on voit : deux hommes à demi cachés par la machine ; à leur droite, un groupe de policiers armés portant des masques à gaz fait face à une foule qui jette des pierres et brandit une banderole où on peut lire « Huelga». Les tubes de la machine montent jusqu'à la quatrième couche.
Dans des compartiments fermés, reliés par les tubes de la machine, il y a cinq scènes indépendantes ; dans la première, un orateur s'adresse à un groupe qui le regarde en silence. Dans la deuxième scène, à droite de la précédente, il s'agit d'une orgie, avec une femme étendue à moitié nue en embrassant un homme devant un demi-cercle de gens qui sont en train de regarder. Dans la troisième scène, à droite de l'orgie, plusieurs personnages comptent des pièces de monnaie. Dans la quatrième scène, au-dessus des pièces de monnaie, un prêtre, un civil et un soldat parlent au téléphone. Dans la cinquième et dernière scène, au-dessus de l'orgie, des personnages sont regroupés autour d'un artefact doré.
À droite des compartiments de la machine est une scène d'une violence extrême, dominée par un homme pointant le lieu où s'affrontent des hommes armés et une foule qui arrive de l'autre côté de la tranchée. Au-dessus de cette scène, loin, tout est mort et destruction. A gauche du chaos, un drapeau rouge suit l'axe de l'homme qui a dirigé la foule ; à gauche du drapeau, trois hommes marchent vers un personnage barbu ; derrière lui se trouve le soleil ; le barbu pointe l'horizon dans le coin supérieur gauche de la peinture, où plusieurs bâtiments sont regroupés dans un paysage urbain paisible et prospère.






5 Iconographie


La epopeya del pueblo mexicano est un récit au même temps historique et imaginaire qui couvre la histoire du Mexique depuis les temps toltèques jusqu’à le monde qui viendra après la révolution communiste, selon la vision de l’auteur. Rivera développe ce récit en combinant les différentes scènes dans un seul endroit, en utilisant un grand nombre des personnages historiques situés dans une sorte de décor théâtral.
En général, Rivera respecte un ordre chronologique et les figures, même en partagent un espace commun ouvert, conservent sa place dans le période historique où elles sont représentées, c'est-à-dire, la narration ne fait pas interagir les personnages des différentes époques, et les affinités entre les figures des divers périodes sont fixées par les mécanismes internes de la représentation, mais pas par une interaction directe. Il y a une exception à cette règle de l'absence de l'anachronisme: El Mestizo, le fils d'Hernán Cortés et la Malinche (qui a été emprisonné comme conspirateur par les autorités espagnoles) encouragé avec l’épée et l’armure du XVIe siècle un groupe de paysans qui portent des armes du XIXe siècle ; peut être ce personnage condense, pour Rivera, l'histoire du Mexique: le Mestizo est le produit d'une mélange de deux civilisations qui échoue dans sa tentative de se rebeller contre l'ordre que violemment a imposé son père.

La ligne narrative proposée par Rivera reprend l'idée du temps cyclique[30] ; elle commence, dans ce cas, par un monde préhispanique idéalisé, régi par la figure de Quetzalcóatl (l’homme blanc, barbu, qui d’accord aux mythes préhispaniques[31] a apporté la civilisation aux peuples méso-américaine), et se termine par un portrait de Marx qui signale le monde que viendrait après la révolution communiste (comme Quetzalcóatl, Marx est blanche, barbu, et est l'auteur d'une doctrine de progrès et de bonheur). Ce lien entre Quetzalcóatl et Marx semble naturel dans la logique du récit, mais il n'existe pas aux croquis que Rivera a soumis à ses employeurs avant de commencer les travaux du Palacio Nacional (
LOZANO, L. et CORONEL, J. 2008, p. 203) ; en fait, la moitié supérieure du mur à gauche est différent entre l’esquisse et la peinture finale, l'espace occupé par la figure de Marx est remplit à l'esquisse par un paysan et un ouvrier qui se serrent la main. J'ai trouvé aucun document qui montre quand est ce que Rivera a choisit d'être infidèle à l’esquisse. On pourrait penser que, avant de commencer, Rivera a eu l'idée de fermer le cycle avec la figure de Marx, et il a délibérément caché aux croquis en attendent jusqu'au dernier moment, quand presque tout le mur est déjà terminé, pour faire les changementsOn pourrait penser aussi que, après l'expérience amère du Rockefeller Center, où le peintre a vu comment son œuvre a été détruite comme conséquence d’un portrait de Lénine qui n'était pas aux croquis, Rivera décide de défier maintenant au gouvernement mexicain en représentant au philosophe allemand. Le mur à gauche a été fait plus de deux ans après les autres tiers de l'œuvre, pendant un période où Rivera a vécu une étape difficile, psychologiquement, après son ascension et chute aux Etats-Unis ; en considérant la personnalité complexe de Rivera, et son côté autodestructeur, l'hypothèse d'une «défi» pourrait avoir un sens.

La direction de la narration sur l’espace commence en haut de l'escalier à droite et se termine en haut de l'escalier à gauche. 
Cette manière d'utiliser l'espace est particulier, premier, parce qu'elle contredit les habitudes de lecture de la culture Occidentale (de gauche à droite et de l’extrême supérieur au l’inférieur), et ensuite parce que le spectateur qui a un contact avec l’ouvre pour la première fois est plongé dans la peinture quand la ligne narrative est déjà en plein développement ; le spectateur doit remonter les escaliers, et tourner la regarde vers la droite, pour trouver le début de l'histoire, et après vers l’outre côté, pour arriver au fin ; jusque ce moment le spectateur ne peut pas comprendre l'essentiel de l'histoire. Un détail du travail suggère que cette «expérience» est intentionnelle: quand le spectateur est en face au mur central, juste avant de monter l'escalier, il trouve qu’une scène de guerre semble l'entourer, une charge de cavalerie remonte les escaliers par les deux côtés, créant un sens de confusion qui capture la vision. Peut-être, derrière l'effet plastique, il y a cette idée : à la naissance, l'homme est jeté dans un moment historique au hasard, et seulement après s’arrêter et réfléchir il peut comprendre le sens de l'histoire.

Ce développement qui commence à droite pour finir à gauche pourrait aussi avoir une interprétation politique: la gauche est l'avenir, le changement, la révolution ; la droite, le passé, la réaction, l'immobilité. D'autres données appuient cette idée: en général, les personnages qui représentent l'ordre ancien sont tourné vers la droite, tandis que les personnages révolutionnaires ont tendance à se tourner vers la gauche.

Le récit est construit à partir des épisodes interconnectés entre les trois parties de la peinture. Vers les moitiés supérieures des murs à gauche et à droite l’utilisation des éléments imaginaires tend à prédominer sur l'historique ; par contre, au mur central, et aussi dans la moitié inférieur du mur à droite, le récit est plutôt historique et suit une sorte de zigzag à travers des "chapitres" de la l'histoire ; la narration commence avec l'empire toltèque et se termine avec le déclin du capitalisme et la révolution communiste ; entre un moment et l’autre, une multitude de personnages historiques est en contacte avec les masses anonymes qui représentent le vrai protagoniste de l’oeuvre: le peuple mexicain.

Dans les deux premiers tiers de la peinture (mur à droite et mur du centre), la taille des personnages est toujours équivalent ; pour donner importance à certains d'entre eux, Rivera utilise la couleur ou la position par rapport aux autres personnages ; dans le dernier tiers, Rivera créé un effet de perspective en changeant la taille des personnages, plus petits à mesure qu'ils s'éloignent. En général, le tableau donne l'impression d'une grande décors du théâtre où les personnages jouent leur rôle sans être au courant de l’oeuvre, mais dans quelques cas les personnages ont conscience du spectateur qui les regarde (en regardent directement vers le spectateur). L'équivalence de la taille des caractères, en contradiction avec la tradition de la plupart des monuments qui racontent récits historiques (les stèles égyptiennes ou les tapisseries médiévales, les peinture au fresque des temples mayas ou budéistes, où la taille des caractères est liée à l'importance qu'ils ont en fonction du récit), fait penser que, de cette façon, Rivera suggère l'égalité des acteurs, comme si chacun d'entre eux doit remplir son rôle à partir d’un texte qui vient des lois de l'histoire ; de cette manière, les individus ne sont plus que les points d’une ligne, ils peuvent choisir s’a position (vers la droit ou vers la gauche), mais jamais peuvent changer la direction de la ligne.

Au mur central les masses des personnages sont situées par couches comme s'ils étaient des strates géologiques ; en bas, il est la guerre de conquête commandé par Hernán Cortés ; en haut, ils sont les épisodes historiques du XIXe siècle. Rivera était un grand amant des sciences naturelles, un certain nombre de ses peintures murales incluent des formes empruntées à la nature ou des instruments scientifiques, il peinte les bactéries, les planètes, les minéraux, les plantes, les microscopes, les télescopes, les tubes à essai, etc. (par exemple, au San Francisco Institute of Art, voir
LOZANO, L. et CORONEL, J. 2008, p. 294). L’intérêt de Rivera par les sciences naturelles est liée à les doctrines pseudo scientifiques et mystiques à la mode au Mexique entre le XIXe siècle et début du XXe siècle ; ces doctrines ont essayé d’arriver aux lois intimes de la nature responsables de l'harmonie et de l’ordre du cosmos. De la même manière, pour Rivera la société humaine doit être régie par des lois universelles, et à cet égard la doctrine marxiste fonctionne parfaitement. L'existence des lois historiques (marxistes) est dans l'arrière-plan conceptuel de La epopeya del pueblo mexicano ; même si Rivera interprété assez librement le marxisme (MARNHAM, P. 1999, p. 357).

Ensuite, un rapprochement aux épisodes individuels[32]:
L'Amérique précolombienne mythique: dans cette scène, qui est dédiée au temps des Toltèques, Rivera représente un sorte d’âge d'or où les Amérindiens vivent en paix avec ses voisins et en harmonie avec la nature. Quetzalcóatl est entouré par un groupe d'Indiens qui veulent apprendre les principes matériaux et spirituels de la civilisation. Cette idéalisation du monde des Toltèques est une idée largement répandue jusqu'à notre temps (quand les recherches archéologiques ont montré une civilisation que fait la guerre et les sacrifices humaines avec la même passion que les civilisations suivantes). A l’époque de Rivera les Toltèques et les Mayas remplient le rôle, aux récits historiques, de servir d'exemple d'une sorte d'âge d'or précolombienne qui est finie quelques siècles avant l'arrivée des Espagnols. 
Pas loin de Quetzalcóatl Rivera a placé les pyramides du soleil et la lune à Teotihuacan, a côte d'un volcan qu’expulse un serpent à plumes, le symbole de Quetzalcóatl, dans une analogie évidente du mythe du phénix (et une référence au temps cyclique) [33]; de cette manière Rivera fait un lien entre la culture de Teotihuacan et les mythes précolombiens, condensant dans un même endroit le mythique, le fantastique, et l'histoire. Rivera a choisi ce moment de bonheur générale pour commencer le récit, en jouant avec deux idées présents aux racines de notre culture: l'âge d'or et le messianisme[34]. Sur cette base mythique Rivera déplace le fil de l'histoire jusqu'à arriver dans un point où cette Arcadie heureuse se répète, après la révolution communiste, mais dans le monde matériel, plein d'usines gérées par les travailleurs, des coopératives, et des champs cultivés par des machines, là bas où il signale le doigt de Marx, en haut du mur à gauche, où l'histoire se termine.
En plus des références à Quetzalcóatl et la culture de Teotihuacan, Rivera profite pour introduire certains éléments tirés de ses croyances ésotériques, notamment, un groupe de quatre figures humaines tournées vers chacun des points cardinaux (probablement représentant les quatre éléments) . Les croyances ésotériques de Rivera sont encore présents après le retour au Mexique ; par exemple, dans une conférence sur la peinture à l'Ecole Nationale Supérieure, Rivera (1996-1, p. 123) dit:

En la capilla anterior pinté la evolución de la tierra y la evolución de los hombres; desde el caos natural y social hasta la armonía productiva de los hombres y elementos naturales y de hombre a hombre.

Aux temps mythiques Rivera représente les métiers dans lesquels les peuples préhispaniques ont fait des grands progresses: l'agriculture, l'artisanat, la poterie, la bijouterie, la peinture, l’écriture, etc. Dans ce monde mythique les hommes travaillent courageux pour eux-mêmes. L'analogie entre l'âge d'or précolombienne décrit par Rivera et le monde de l’utopie communiste proposé par Marx est évident. A côté des métiers, Rivera montre le monde spirituel à travers de la représentation de la danse, de la musique et des rites ; de cette manière, l'harmonie des travailleurs anonymes est complétée par la richesse des activités de l'esprit. Rivera était convaincu que la consommation de l'art est une besoin physiologique indispensable[35], alors, dans sa représentation de l'utopie, les artisans et les agriculteurs sont au même niveau que les artistes[36].
Au-dessus de l'utopie toltèque Rivera placé le fait que déclanche l'épopée: Quetzalcóatl abandonne cette Arcadie mésoaméricain en volant sur la serpent à plumes, à côté d'une représentation d’un soleil humanisé en position inverse. Le dessin du soleil rappelle au Tarot de Marseille, populaire à l’Europe depuis le Moyen Age, et aussi rappelle aux dessins des enfants. Quetzalcóatl se dirige vers la droite, la direction opposée au mouvement du récit ; ce détail pourrait rappeler le caractère finalement réactionnaire (opiacé) des mythes. Abandonnés à leur sort, les hommes donnent commence à l'âge du fer, entre le feu, la guerre, la mort et le chaos.
 
L'empire aztèque: en bas à gauche du mur à droite Rivera représente pour la première fois dans ce travail une lutte armée, il s’agit de la résistance des peuples autochtones contre les envahisseurs aztèques qui viennent de l’Amérique du nord. Les guerriers autochtones sont nus et armés des lances, les aztèques sont couverts des armures d’apparence animale et ils utilisent des armes plus fortes ; les aztèques sont très bien préparés pour la guerre en considérant la technologie de l`époque. La différence entre le nombre des corps tombés indique la supériorité militaire des envahisseurs. Derrière la bataille, le feu a détruit les maisons de bois et de paille. Une fois la conquête aztèque est fini, Rivera représente un groupe de figures qui, péniblement, sont en train de transporter des sacs des marchandises au pied du chef religieux aztèque, qui est accompagné par un guerrier. Dans ce moment, le peuple mexicain a cessé de travailler pour lui-même et a commencé à le faire pour un autre, subjugué par la force des armes et l’enveloppe symbolique de la religion.
Cette scène termine le mur à droite, dédiée au monde préhispanique.

La conquête armée: la scène de la bataille entre les conquéreurs espagnols et les guerriers aztèques occupe une surface relativement importante du mur central, comparable seulement à la représentation de l'utopie toltèque au mur à droite, et à la satire du Mexique contemporain, au mur à gauche (ces deux dernières sont des scènes en quelque sorte isolées du temps historique). D’accord aux textes de Rivera, la conquête espagnole va marquer en grande partie le caractère de la nation et les relations de pouvoir entre les classes sociales. A propos du monde qu’arrive avec la conquête espagnole Rivera
(1996-1, p. 136) a écrit:

Los conquistadores representaban el ala derecha del partido conservador, de tal manera que cuando llegaron a México no vinieron a trabajar la tierra, sino más bien para conquistar. Durante todo el periodo de la colonización española de México no hubo un español que pusiera sus manos sobre un arado o sobre un instrumento minero. Por lo tanto utilizaron el trabajo de los nativos. Vieron que más allá del dinero y de las riquezas de la nación medida en tierras, en minas y en piedras preciosas, la mayor riqueza se encontraba en el indio. El indio fue considerado inmediatamente como el factor en desarrollo del país, más allá de cualquiera de los recursos naturales del país. En la época de la conquista, desde Cortés hasta su menor soldado, los españoles pueden ser considerados más que colonos; han de ser considerados como administradores de hombres, administradores de trabajo.

Dans cette scène centrale Rivera représente, pour la première fois, un personnage historique: Hernán Cortés. Le chef de l'expédition espagnole n'est pas seulement le premier personnage historique représenté, il est aussi l'un des rares qui apparaissent plus d'une fois ; la première, quand il est à la tête de la cavalerie espagnole, et après, un fois la conquête est finie, a côte de la Malinche et son fils. Autre des figures historiques qui apparaîtrent à plusieurs endroits est, précisément, le fils de Cortés, El Mestizo, qui, comme on a dit, semble jouer un rôle condensateur de l'histoire du Mexique[37].
La bataille entre les attaquants espagnols et les défenseurs aztèques est particulièrement féroce, l’expression des guerriers, les armes et la sang, la haine aveugle qui se manifeste dans le désir de tuer même après avoir été mortellement blessé, les corps tordus couvrant le sol, tout est fait pour reproduire la colère et la souffrance générée par la guerre. Avec cette scène Rivera arrive à transmettre parfaitement deux messages: le première, la résistance farouche et désespérée des Aztèques (idée basée aux chroniques des espagnols eux-mêmes) ; le deuxième, la collaboration entre les peuples soumis à l'empire aztèque et les espagnols. La collaboration avec les étrangers devient l'un des lei motiv de La epopeya del pueblo mexicano. Les indiens luttent à côte des espagnols, la Malinche aide à Cortés, les politiciens travaillent pour l’empereur autrichien, les « caudillos » locaux collaborent avec les hommes d'affaires étrangers, etc. Rivera dénonce la complicité des mexicains, la facilité avec laquelle ils peuvent trahir les intérêts de la nation et du peuple (telle qui est comprise par Rivera) ; cette dénonce est persistante, non seulement au sein de cette oeuvre, mais aussi dans les écrits de Rivera[38]. La collaboration avec les étrangers est tellement présente dans la culture mexicaine qui a donné naissance au mot «malinchismo», dérivé du nom de la Malinche, la femme de Cortés.
L'effet plastique obtenu par Rivera en mettant en face des soldats espagnols couverts des armures en métal et des guerriers aztèques couverts des plumes accentue la différence entre les deux mondes. Tout d'abord, l'écart technologique: épées de fer contre des armes en bois, des canons et des fusils contre des arcs et des flèches, des hommes à cheval contre des guerriers aux pieds nus. Aussi, il montre la distance des deux civilisations par rapport à la nature: les espagnols ont une technologie qui permet de dominer les forces de la nature (la domestication du cheval, l’utilisation de l'énergie de la poudre), tandis que les aztèques ont un contact étroit avec la nature, une sorte de pacte de collaboration que Rivera souligne avec les armures d’apparence animal.
Vers le côté gauche de la bataille ils sont les aztèques qui attaquent un groupe d’espagnols et indiens qui sont en train de défendre une muraille ; il s’agit d’une référence à la «Noche Triste», l'un des rares défaites qui a souffert l'armée de Cortés. Rivera souligne la bravoure des attaquants et la vulnérabilité de l’ennemi, un message clair de résistance dédié aux destinataires de la peinture. Derrière le groupe qui défend le mur un soldat essaie de violer une femme indienne qui résiste avec la même férocité que montrent les attaquants vêtus d’animaux.
Juste au-dessus de la charge de cavalerie il se trouve Cuauhtémoc (le dernier empereur aztèque) en train d’employer un lance-pierre (Monctezuma, en mains des espagnols, a été tué par des pierres jetés pour les mêmes indiens[39]), et Cuitlahuac (avant-dernier empereur, frère de l'empereur Monctezuma) , qui regarde le résultat de la «Noche Triste », immobile, impassible , presque indifférent, même si cet empereur est l'un des héros de la résistance aztèque à Tenochtitlan, et jusqu'à sa mort, victime de la variole, il s'est tenu ferme dans la lutte contre les espagnols (
VAZQUEZ GOMEZ, J., 1989, p. 22). Rivera utilise la chronique de la résistance aztèque pour souligner la férocité qui est capable de montrer le peuple mexicain contre l'agresseur étranger, il s'agit d'un message approprié pour un Etat qui fait toujours face à la pression des gouvernements américain et européens sur la dette et les investissements extérieurs, qui essaient d’obtenir des avantages sur les impôts pour ses sociétés et de dominer le commerce extérieur du Mexique. Les aztèques refusent de se rendre, quel que soit l'infériorité technologique ou la futilité de la résistance, même en sachant que la défaite les attendait[40] . Rivera ne semble pas juger l’attitude des peuples qui ont collaboré avec les espagnols, peut être parce qu’ils ont cherché se libérer de l'oppression des aztèques, qui avaient entrepris régulièrement les « Guerras floridas» pour contrôler la population masculine des vassaux, capturer des prisonniers pour les sacrifices rituels et se nourrir avec sa viande (MEYER, M., 2000, p. 69). A côté des derniers empereurs aztèques, un prêtre lève le cœur d’un homme victime d’un sacrifice rituel. Dans son autobiographie (RIVERA, D., 1991, p. 20) Rivera fabrique un épisode de cannibalisme que, selon son biographe (MARNHAM, P., 1999, p. 62) n'a eu lieu ; indépendamment de la véracité de l'histoire, il est intéressant de noter comment le cannibalisme est pour Rivera dans les racines profondes du Mexique.

L'aigle mexicaine: sur un cactus au centre du mur frontal, Rivera peint l'aigle qui est utilisé comme l’emblème du Mexique (VAZQUEZ GOMEZ, J., 1989, p. 1). Elle a dans son bec les symboles du feu et de l'eau, ils représentent la guerre sainte. L'aigle mexicaine apparaît plusieurs fois dans l’oeuvre, pointant toujours des changements historiques violents ; voici le seul moment où l'aigle n'apparaît pas en vol, en pointant la fondation de la nation mexicaine (l’aigle sur le nopal, au centre du lac, a été la signal pour construire Tenochtitlán d’accord aux récits mythiques). En la représentation du drapeau mexicain l'aigle tient dans son bec un serpent, il est facile de faire des liens avec le serpent à plumes mythique des Toltèques, en condensant les éléments du mythe d’une manière que rappel les études de Frazer (1930). Derrière l'aigle Rivera représente la vigne et le ver en soie, deux activités importées, développées par les mexicains en dépit de l'opposition des autorités espagnoles qui ont essayé de maintenir un monopole sur le marché des deux produites[41]; Rivera rappelle l'importance de l'autodétermination du point de vue économique.

La conquête culturelle : à part de la conquête par les armés Rivera représente des prêtres chrétiens en développant les activités qui mèneront à l'acculturation des peuples américains. Rivera peint un groupe de prêtres qui, avec les meilleures intentions, se sont battus pour améliorer la situation des populations autochtones (le plus important d'entre eux, Bartolomé de las Casas), mais, à part de protéger les indigènes contre les soldats et les fonctionnaires du roi, les prêtres prends des «cadeaux» des mains des Indiens ; de cette manière Rivera met en lumière la duplicité de ces «bons prêtres» ; d'une part, ils ont défendu les indiens contre quelques abus des conquérants (après avoir partagé les bateaux qui les sont amenés de l'Espagne à l'Amérique avec les soldats et fonctionnaires abusifs), et au même temps, ils sont pénétré la culture indienne pour l’annuler (Sahagun est en train d’écrire dans un coin « La Historia de las cosas de la Nueva España »). En plus, Rivera montre comment les prêtes parasitent la main-d'œuvre indienne, qui avant a cultivé la terre pour soi-même et maintenant le fait pour ses « bienfaiteurs ». L’un des prêtres, Vasco de Quiroga, «Tata Vasco » (un alias amicale qui veut dire « l’oncle Vasco »), qui a passé à l’histoire pour défendre courageusement aux indiens, est représenté avec un épi à la main en train de séparer quelques grains pour un indien d'aspect misérable. Rivera peint aussi des représentants de l'église catholique, une religieuse entre eux, qui prennent des cadeaux d'un couple d'aristocrates indiennes. Un peu plus loin, ils sont les fondateurs du système des missions[42], une institution qui a été utilisé comme l'un des plus efficaces méthodes pour l'assujettissement psychologique et culturelle des vaincus. L’expression de la pauvreté des aborigènes et les attitudes protectrices de ces prêtres permettent souligner l'état de soumission et de dépendance généré par l'église catholique aux premières étapes de la conquête. Selon les chroniques (
LAFAYE, J., 1974, p. 276), le processus de christianisation a été étonnamment rapide (DUVERGER, C., 1978, p. 12), mais les méthodes utilisées étaient généralement superficiels (les baptêmes en masse, par exemple, ont été très populaires parmi les prêtres franciscains dans les premiers jours de la conquête[43]); mais les plaintes des prêtres pour le refus des indigènes à suivre les rituels chrétiens sont arrivé jusqu’au le XVIII siècle (RODRIGUEZ J., 1989, p. 115 - 118)  et, en général, le syncrétisme a servi aux indiens pour cacher ses croyances traditionnelles autochtones après l’apparente christianisation (DUVERGER, C., 1978, p. 14). En tout cas, pendant les années que Rivera a travaillé cette œuvre, sa vision de l'église catholique a été ouvertement négative, en coïncidence avec ses employeurs, qui viennent de fini la lutte à mort contre les Cristeros, la guérilla qui fanatiquement s’a opposé aux réformes que le gouvernement mexicain a tenté d'imposer à l'église catholique dans la deuxième moitié des années vingt.

La colonie: Rivera combine les images de destruction et de construction de deux bâtiments (de chaque côté de la bataille entre les espagnols et les aztèques) pour représenter le processus qui a suivi à la conquête. À droite, un groupe d’indiens, gardée par un soldat armé d'un fouet, est en train de détruire avec des pioches et des pelles une construction précolombienne. A gauche, un autre groupe d'indiens, dirigé par quelques espagnols, certains d'entre eux des civils, est en train de construire un bâtiment en utilisant des blocs de pierre[44]. La relation de Rivera avec l'architecture est étroite, les représentations des bâtiments sont fréquents dans ses peintures murales ; en effet, pour lui, les peintures murales sont un élément architectural (
RIVERA, D., 1996-1, p. 369). La substitution du patrimoine architectural précolombienne est, pour Rivera, l'un des signes les plus clairs de la volonté d’imposition absolue du souverain espagnol[45]. Il n’est pas gratuit que, à côte de la construction, Rivera représente une ligne d'indiens en attente d'être marqués comme esclaves au fer rouge ; aux signes physiques sur le paysage urbain s’ajouté le sadisme des espagnols qui marquent la peau de ses nouveaux vassaux. En fait, l'esclavage des indiens a duré un temps relativement court (jusqu'à le moment que les rois d'Espagne, après les efforts de certains prêtres, ont donné la permission d'importer des esclaves d'Afrique pendant la première moitié du XVIe siècle), mais l'image terrible des indiennes liées derrière l’homme en genoux sert bien à communiquer son message: l'envahisseur ne fait pas de distinction entre les rebelles et les collaborateurs, il impose sa loi à la population locale par la violence d’une manière généralisée, l'exploitation de l'homme par l'homme est inévitable s'il y a des situations d'inégalité (MARX, K., et ENGELS, F., 2000).
A côté de la longe ligne des indiens il y a un trio de personnages qui rappellent, par les expressions, les vêtements, et les attitudes, la peinture crûment satirique du XVIe siècle aux Pays-Bas (Bosch, Brueghel). Il y a aussi un feu alimenté par des codex préhispaniques, en représentant la destruction barbare de la culture autochtone. Le feu des codex équilibre plastiquement le feu du canon, de l'autre côté du mur central, mais il y a aussi le lien conceptuel entre la violence de la guerre et la destruction de la culture[46].
Une masse anonyme des gens du peuple avance vers le stratus supérieur. À plusieurs points Rivera utilise ces fleuves pour relier les différents moments historiques. Les personnages individuels (hommes politiques, soldats, civils) changent leur manière de s'habiller, mais pas la masse anonyme, qui porte toujours haillons blancs ; Rivera semble illustrer la façon comment « l’Histoire » laisse de côté à la plupart de la population, qui dans de nombreux cas est représenté de dos, sans visage, sans personnalité (sauf quand Rivera illustre une révolte ou un épisode violent, où la masse montre la visage)Cette rupture entre les événements historiques et la vie de la grande majorité de la population (ce qui pour Rivera est le peuple mexicain), est recueillie pour les historiens (KENNETH PITTMAN, D., 1989, p. 156).
Rivera représente dans un espace relativement grand un des épisodes les plus célèbres de l'histoire du Mexique: l'inquisition[47]. Deux condamnés qui portent "sanbenitos" sont attachés à des poteaux, en attendant d’être victimes des flammes. Rivera souligne le grotesque et la satire à travers ces deux hommes et les prêtres qui les entourent, il déforme les expressions d'une manière qui rappelle les peintres expressionnistes contemporains d'Europe du Nord (Otto Dix et James Ensor, entre autres). Certains membres du clergé sont des personnages historiques (Pedro Moya, le premier inquisiteur, et Juan de Mendoza, qui « popularise » les « autos de fe »), mais la plupart sont des figures anonymes avec des cagoules noires au pied d'un auvent où les autorités civiles et ecclésiastiques se protégent du soleil pour voir le spectacle de la combustion des damnés. La cruauté de cette scène contraste avec l'attitude des prêtres qui protégeaient aux indiens au début de la conquête. Rivera montre ainsi le comportement ambigu d'une institution qui s’a inséré entre la population autochtone par des actes de bonté, et une fois dedans, utilise son pouvoir pour tourmenter les gens qui ne suivent pas ses orientations. Rivera utilise fréquemment ces jeux de contrastes (construction vs. destruction, protection vs. exploitation, révolution vs. réaction, métis vs. blancs, etc.) ; ce dualisme simpliste facilite la transmission du message: l'ennemi est là, il est facile à l’identifier, il faut seulement de coordonner l'action entre les forces révolutionnaires pour arriver à la victoire ; mais cette lecture double est compliquée à la troisième part de l'œuvre (le présent et le futur du Mexique), fait après le retour des Etats-Unis, où l’ennemi n’est pas facilement identifiable.
Rivera a exposé ses idées sur la période coloniale mexicaine de cette manière (RIVERA, D., 1996-1, p. 137)

Aliados a los indios en aquella época existían dos grupos importantes, el clero, representando al papado, que había protestado en contra de la explotación de los indios por aquellos que representaban al imperio, ya que aún en ese tiempo existía una lucha clara entre el imperio y el papado. Los métodos mediante los cuales era explotado el indio por las autoridades civiles siempre fueron objetados por los representantes eclesiásticos. Ambos tenían en el corazón el mismo deseo de explotar al indio, pero el método empleado por el clero tenía que ser más sutil ya que no tenían el poder militar, mientras que los métodos empleados por los administradores civiles, con el poder del rey detrás de ellos, era más brutal y directo. El administrador civil estaba sumergido en la idea de eliminar la cultura indígena.

L’indépendance: au-dessus de l'aigle mexicaine, dans l'arche centrale, Rivera place un groupe de personnages qui participent au processus d'indépendance du Mexique. Les personnages sont tous debout, comme dans un portrait de groupe dans le style de Rembrandt. Deux drapeaux permettent identifier deux groupes diverses. D'une part, la révolte populaire (menées par une succession de prêtres révolutionnaires que commence par le père Hidalgo), d'autre part, l’indépendance gérée par les créoles aristocratiques[48], autour la figure d’Iturbide[49]. Les similitudes entre la guerre d'indépendance et la guerre civile qui a éclaté un siècle plus tard sont notables pour les historiens (SEMO, E., 1989-1, p. 208). Rivera utilise ce fait pour montrer les personnages qui ont combattu derrière les deux modèles de pays. Chaque groupe est situé derrière un drapeau. Tourné vers la gauche, derrière le drapeau qui affiche l'image de la Vierge de Guadalupe[50], est le père Miguel Hidalgo qui, après le fameux «Grito de Dolores»[51], est consacrée à la lutte pour l'indépendance suivi pour certains secteurs populaires, jusqu'à le moment qu’il a été fusillé. Il est entouré de plusieurs martyrs des première années de la lutte pour l'indépendance (le plus important, José María Morelos, un autre prêtre qui a servi en tant que successeur d'Hidalgo jusqu'à le moment que, lui aussi, a été fusillé), tous ces hommes avaient en commun, appart leur vocation indépendantiste, l'origine métisse que Rivera fait ressortir par la couleur de la peau (à l'exception d'un soldat d'origine espagnole qui a recruté des troupes étrangères et s’a battu pour l'indépendance du Mexique, qui a été également fusillé). L'image de la Vierge de Guadalupe est au cœur de la culture mexicaine et le succès de son culte depuis sa création a été expliqué, entre autres choses, par l’affinité avec la déesse précolombienne Tonatzin[52]. S'il y a une chose commun pour les Mexicains, indépendamment de leur origine, est le culte de la Guadalupe [53]; (Octavio Paz – 1959 - parle extensivement de l’importance du culte de la Vierge de Guadalupe pour les mexicains). Au dernier tiers de l’œuvre la Vierge de Guadalupe est représentée dans un contexte complètement différent et avec un rôle contraire : elle « protége » le coffre d’aumônes où le peuple ignorant dépose l’argent, et le coffre serve pour nourrir une machine qu’alimente les orgies des capitalistes, les explorateur étranger, et les militaires corrompues.
Le deuxième groupe s'est tourné vers la droite, il est regroupé autour du drapeau tricolore du Mexique et la personnalité d’Agustín de Iturbide, qui est représenté vêtu avec costume d'empereur, un costume qu'il va porter seulement pendant dix mois à partir du moment où il gagne l'indépendance effective du Mexique (après avoir combattu en premier lieu pour le côté royaliste, et pendant la guerre a changé au bande indépendantiste), et avant d’être exilé ; Iturbide venait d'une famille riche, il représente un modèle de pays conservateur, traditionnel et religieux[54], en opposition à l'option proposée par Hidalgo et ses disciples, qui se sont battus pour un pays où les petits agriculteurs peuvent avoir accès au pouvoir politique[55]. Rivera représente des indiens dispersés parmi le groupe de personnages historiques, mais ces figures semblent en dehors du portrait de groupe pour lequel posent les personnages historiques. Le drapeau du Mexique est soutenu par Vicente Guerrero, un soldat qui a commencé en lutant pour Iturbide, puis contre lui, et éventuellement a été aussi fusillé ; la dualité de la figure qui tient le drapeau du Mexique peut être un moyen de mettre en évidence ces deux notions du pays au cœur de la nation mexicaine[56].
A l’intérieur du groupe de Iturbide il y a deux femmes, entièrement représentées de profil, une est tournée vers la droite, l'autre vers la gauche. Il s’agit, dans les deux cas, des femmes de familles riches qui se sont sacrifiés pour la cause de l'indépendance. La représentation des personnages féminins dans cette œuvre de Rivera est bien inférieur au nombre de personnages masculins; au plupart des cas, ce sont des femmes qui font partie de la masse anonyme du peuple mexicain, ou, sinon, elles sont en train de soutenir l'action révolutionnaire amenée principalement pour les hommes. Les relations de Rivera avec le sexe féminin sont complexes, sa vie privée est plein d'événements contradictoires et des relations orageuses. Dans sa peinture, la figure féminine occupe le rôle de l'image de la fécondité, elle est aussi objet érotique, l’amant fidèle et, occasionnellement, l'instigatrice du vice (LOZANO, L. et CORONEL, J., 2008). Toutefois, Rivera écrit à propos des femmes en général en utilisant un air protecteur et bienveillant ; l’autobiographie (RIVERA, D. 1991, p. 73, 136) est pleine des moments où Rivera s’inculpe à soi même par ses constantes infidélités. Dans La epopeya del pueblo mexicano la femme développe ses activités en silence, dans un rôle secondaire.
Un des personnages de ce groupe regarde directement vers le spectateur, il est Manuel Gomez, qui a combattu contre l'indépendance et après a gagné l'élection présidentielle de 1828 (sauf qu’il s’a exilé pour la menace des militaires libéraux). Est-ce que le fait que justement ce personnage regarde vers le spectateur est une manière de Rivera de reprocher aux Mexicains l'absence de la mémoire historique?
En relation à la guerre d'indépendance Rivera, à différence de nombreux intellectuels mexicains, n'est pas particulièrement attentif ; en effet, quelques de ses écrits insistent sur le fait que le Mexique, après l'indépendance, a changé unes seigneurs par des autres[57]. La version «populaire» de l'indépendance ne occupe pas trop de place dans la peinture ou les écrites de Rivera, peut être c’est parce que la plupart des dirigeants étaient des gens d'église, ou peut être simplement parce que Rivera était en désaccord avec la manière comment, après l'indépendance, le pays a été géré. En tout cas, selon la doctrine marxiste, la seule révolution qui peut réellement améliorer la condition des masses exploitées est la révolution capable de transformer les relations de pouvoir et les structures économiques en faveur des paysans et du prolétariat.

L'invasion américaine: dans l'arc de l’extrême droit Rivera représente la défense du château de Chapultepec, qui est presque le seul épisode glorieux de la guerre contre les Etats-Unis d'Amérique. Un officier, Nicolás Bravo, dirigé une décharge de fusils. En regardant le sol couvert des corps mexicains on peut comprendre que la défense est héroïque, mais tragique et futile, comme elle a été en réalité. Particulièrement frappant est l'absence de l'ennemi, il n’y a pas un seul soldat américain représenté, seul le château de Chapultepec, entre les nuages de fumée, permet localiser l'épisode. Quand Rivera commence l’œuvre (1929) l'attitude du gouvernement mexicain vers l'Amérique est d’approximation, les relations difficiles, le discours nationaliste et révolutionnaire de la première moitié du période de Calles (1924-1926) a finit, et bien que les croquis ont été présentées un certain temps avant que Rivera commence la peinture mural, le ton des relations avec le « frère du Nord » est modéré. Rivera, quant à lui, n'a jamais montré des signes d'être anti-américain ; l'idéologie communiste fait de lui un ennemi du capitalisme, mais on pourrait dire que pour Rivera une chose est le capitalisme et une outre les Etats-Unis, et même, on pourrait presque dire, après voir ses relations avec les capitalistes américains et le type d'amis qu’il a fait à San Francisco, que pour Rivera une chose est le capitalisme et une autre les capitalistes, au moins jusqu'à l'épisode du Rockefeller Center; au contraire, à plusieurs textes Rivera loué le talent et l'ingéniosité des grands industriels américains, surtout quand ils étaient ces amis (
RIVERA, D., 1991, p. 111).
Un détail difficile à expliquer dans cette partie de la peinture est en bas à gauche, où deux soldats sont dédiés à nourrir un chien mexicain ; ils sont indifférents à la décharge des fusils et la défense héroïque de Chapultepec.

Le temps de Santa Ana: l'arche du centre et à droite de l’oeuvre est utilisé par représente un fleuve de paysannes qui viennent de la zone du baptême des premiers jours de la conquête et arrivent vers le stratus supérieur, où il y a un moine franciscain, obèse, grotesque, grand. À côté du prêtre, de la même taille, il est le général Antonio López de Santa Ana, onze fois président du Mexique, figure forte du milieu du XIXe siècle. Santa Ana est représenté tourné complètement vers la droite, il porte une bougie et un bâton, il est orné de médailles et porte une bande tricolore sur la poitrine. Autour Santa Ana il y a des gens de l’église avec un air content ; un d’entre eux bénit un coffre rempli de pièces d'or. Le coffre est situé à côté des figures des paysans qui transportent des lourdes charges. Enclin vers le coffre il y a deux figures anonymes qui montrent seulement les chapeaux, on peut lire écrit sur la ceinte d’un des chapeaux « Viva la libertad », une ironie typique de Rivera, où les textes disent le contraire aux gestes, en donnant un effet comique ; l'humour est une autre constante du travail de Rivera, un humour acide, souvent utilisée pour exposer les tartufes de la société mexicaine.
Au-dessus des paysans, et à droite du coffre avec les pièces d’or, il y a des personnages historiques qui, après la guerre contre les États-Unis et la défaite de Santa Ana, ont arrivé à expulser au leader après avoir proclamé le Plan de Ayutla (1854), une proclame du gouvernement fédéral et libéral qui a servi de drapeau à la révolte contre le tout-puissant Santa Ana (SEMO, E., 1989-1, p. 294). Derrière ces figures historiques est une foule qui couvre jusqu’à l’horizon, vêtue en rouge et armée d'une forêt de lances. La foule est représentée en face, légèrement inclinée vers la gauche, menaçant. Un personnage qui se démarque de ce groupe est Miguel Miramon qui, pendant l'invasion française, a servi en tant que collaborateur, mais après la chute du gouvernement étranger il a été fusillé ; Miramon tien une épée brisée (un symbole de la trahison) envers le coffre des pièces d'or. Un petit personnage de lunettes est un académicien reconnu qui a travaillé aussi pour l'empereur Maximilien, jusqu'à il a été exilé pour les français eux-mêmes. Ici, Rivera représente les personnages qui ont trahi au Mexique, responsables, eux aussi, de l'épopée du peuple mexicain. Autres collaborateurs de la politique expansionniste de l'empereur Napoléon III complètent le groupe.

La Réforme: en haut des leaders religieux et des aristocrates créoles qui sont autour Santa Ana est Benito Juárez et ses collègues. Pour la première fois depuis l'époque des Toltèques, le groupe ne comprend pas des soldats ou des militaires. Juárez est représenté comme un métis éduqué ; il était le chef des libéraux et il a arrivé à la présidence dans le milieu du XIXe siècle ; il fut le premier président du Mexique sans avoir aucune expérience militaire, une caractéristique que Rivera souligne, en représentant au président Juárez élégamment vêtu en noir, comme le reste du groupe. Juárez est l'un des rares personnage historiques que Rivera admire pendant toute sa vie, (
RIVERA, D., 1991, p. 158) Juárez est tourné vers la gauche, et ses vêtements civils contrastent avec la forêt de lances situé derrière lui. Une personne du groupe de Juárez détient un document qui dit «Constitución de 1857 Leyes de la Reforma», de cette manière Rivera souligne le pouvoir civile et légitime de Juárez. Un personnage historique intéressant de ce groupe est à la gauche de Juárez, il s’agit du ministre Ignacio Ramirez, qui a estimé, bien à la mode du positivisme[58], que la nature se suffit a soi même et, en conséquence, Dieu n'existe pas ; cette fois, le «Nigromante» (c'était son alias) ne montre plus que son visage, mais quelques années plus tard, à la peinture mural El sueño de la Alameda, il est représentée tenant un papier qui dit « Dios no existe » ; malgré avoir utilisé un intermédiaire, la phrase a causé un grand scandale et plusieurs actes de vandalisme, ce qui a fini par obliger à l'hôtel où Rivera a fait l’œuvre, à prendre la décision de couvrir la peinture avec des rideaux (RIVERA, D., 1991, p. 161). Les lois de « la Reforma » ont mis en place un gouvernement fédéral, laïque et moderne (sur le papier) [59], qui contraste avec l'ancien modèle imposé par les forces conservatrices qui ont soutenu à Santa Ana[60]. Ce groupe de personnalités historiques étaient partie d’une loge maçonnique[61]; Rivera à la possibilité de montrer ses affinités avec cette secte en représentant quelques des signes maçons, sous la voûte d'une église qui a la porte cassé on voit l’œil dedans le triangle. Le groupe des disciples de Juárez et les rebelles qui ont signé le plan d’Ayutla sont juste en face de une église pillée et, au fond, il y a des hommes avec des pioches qui travaillent pour faire tomber un autre édifice religieux.

Le temps de Maximilien: la ligne narrative sauts jusqu’à l'arc de l'extrême gauche, probablement pour des raisons picturales et conceptuelles: le peloton qui tourné vers la gauche équilibre les défenseurs du château de Chapultepec qui, de l'autre côté, tirent vers la droite contre les envahisseurs américains. Dans ce cas, le peloton fusille à Maximilien, l'empereur marionnette que Napoléon III a imposé au Mexique de Benito Juárez ; le peloton est compris des métis sans uniforme, à différence des soldats de Chapultepec. En Chapultepec la résistance héroïque n'a pas empêché l'entrée de l'envahisseur (comment les aztèques quatre siècles avant), tandis que l’exécution au Cerro de las Campanas à Querétaro (SEMO, E., 1989-1, p. 296) marque la dernière aventure d’un gouvernant étrangère au sol mexicain. La décharge de Chapultepec, à droite, n’a pas réussi à changer la direction de l'histoire, mais la décharge de Queretaro, vers la gauche, a marqué un point de « non-retour » dans l'histoire du pays. Comme à Chapultepec, les destinataires de la décharge sont invisibles. Maximilien, Miramon, et Tomas Mejia (les trois hommes qui ont été abattus dans le Cerro de las Campanas) sont à l'extrémité inférieure de la scène. Rivera représente la dignité des condamnés, le récit historique raconte qu’ils sont montré l'honneur face au peloton d'exécution. Sur la fumée de la décharge ils sont les forts de Loreto et de Guadalupe, deux endroits où la résistance à l'armée française a été particulièrement féroce. Au ciel, l'aigle des Habsbourg est en train de fuir avec sa couronne, pour ne pas revenir. En haut de Maximiliano est Juárez et trois héros libéraux, l'un d'entre eux regarde directement vers le spectateur.


Le temps de Porfirio Diaz : dans l’arc voisin, Rivera représente à Porfirio Diaz avec ses partisans siégé par une foule de paysans et un grand nombre de personnages historiques armés des pancartes et papiers. A l'horizon, ils sont les societés pétrolières des États-Unis. Porfirio Diaz, des traits européens, l’uniforme militaire, le tricorne, les médailles, l’écharpe tricolore sur la poitrine, tient l’épée contre le groupe d'opposants, mais son expression montre la peur. Derrière lui, sa femme, et derrière sa femme, un prêtre. Rivera représente de cette manière l'influence de l'église sur un gouvernement «athée»: Porfirio Diaz a justifié sa politique en utilisant le positivisme français. Juste au-dessous de Diaz il y a le groupe des « científicos », les ministres qui ont imposé au Mexique un régime favorable aux entreprises étrangères en oppressant à la population locale, qui a perdu sa terre pour des lois injustes, qui a été déplacée à la forcé, et qui a été payé avec des salaires de misère. Parmi les « científicos » est José Yves Limantour, le ministre de l'Economie, concepteur en chef du modèle, et d'autres politiciens libéraux qui avaient déjà travaillé avec Benito Juárez. En copiant le geste de Porfirio Diaz, Rivera a représenté au général de la Huerta, qui pendant les années d’Obregón a fait une tentative de retour à un système similaire à celui du « Porfiriato ». Rivera représente derrière le dictateur une forêt de baïonnettes, en insistant sur l'imposition par la force militaire du système qui a opprimé au peuple du Mexique. La foule regarde vers Porfirio Diaz de dos au spectateur, silencieuse, immobile ; elle vient de se déplacé du strate inférieure, là où Rivera a représenté la scène de l'Inquisition.

La révolution mexicaine: Rivera représente les différentes étapes de la Révolution en relation à la proximité du dictateur Porfirio Díaz[62]. Les plus proches sont les hommes politiques opposés à la réélection de Díaz (1910) et les leaders populaires qui ont organisé des mouvements d'opposition pendant le « Porfiriato »[63]. Certains de ces dirigeants montrent des exemplaires des journaux. Par exemple, dans les mains du dirigeant syndical Manuel Dieguez il est un journal titulé: «Revolución social Huelga revolucionaria de obreros 1906 1907» ; à côté de Dieguez, Rivera représente à José Guadalupe Posada avec un petit cahier à la main, il est un illustrateur qui est devenu célèbre pour ses crânes, il a crée la populaire Catrina (la figure central dans El sueño de la Alameda). Rivera représente également un certain nombre de politiciens libéraux qui ont travaillé avec Juárez, mais n’on pas accepté se rejoint, ou rester avec, le gouvernement de Porfirio Diaz.
Du même groupe, mais un peu plus loin du dictateur, ils sont les personnages qui ont participé à la Révolution : une femme qui a aidé aux révolutionnaires à titre d'infirmière après que son frère a été assassiné par les forces réactionnaires ; Joseph Garibaldi (petit-fils du héros italien), qui a traversé l'océan pour combattre du côté de Madero ; un des leaders les plus populaires et importants de la Révolution (mais Rivera l’a inclus dans le groupe sans souligner sa figure), Pancho Villa, un ennemi déclaré du président Obregón, qui au moment de présenter les croquis entretient des bonnes relations avec Rivera. Par-dessus de tout le group il est Emiliano Zapata, leader paysan, la référence classique de la lutte révolutionnaire, du guérillero mexicain dédié aux intérêts du peuple ; Le «Plan de Ayala» (NUNES. A., 1975, p. 7), écrit sur un papier à côté de Rivera, est le document qui contient les demandes du mouvement zapatiste, essentiellement le retour de la terre pris aux paysans pendant le « Porfiriato »[64]. Vers l'horizon il y a un groupe d'usines mexicaines, avec elles, Rivera suggère la capacité du pays de gérer sa propre économie, sans avoir besoin d’être entre les mains des sociétés étrangères ; il s’agit d'un des problèmes le plus compliqués pour les gouvernements post révolutionnaires. An bas du groupe, loin de Zapata, Rivera représente le président Madero vêtue de civil, tourné vers la gauche, comme la plupart de ses compagnons, avec la bande tricolore, en regardant défiant vers Porfirio Diaz[65]. A côté de lui est José Vasconcelos, l'ancien employeur de Rivera ; à la époque que Rivera travail sur La epopeya del pueblo mexicano Vasconcelos est en exil aux États-Unis; Vasconcelos regarde directement vers le spectateur, il est difficile de savoir ce que Vasconcelos a dans l'esprit . Les relations entre Vasconcelos et Rivera étaient tendues à l’époque, et Rivera n'a pas hésité à l’attaquer publiquement (MARNHAM, P., 1999, p. 254). Au coin, il est le controversé général Carranza[66], qui a conduit au Mexique à la ruine; Rivera lui tourné vers la gauche, peut être en honneur des efforts contre les gouvernements étrangers et en louant l’intention de confisquer les biens des sociétés étrangères, et de refuser le paiement de la dette externe du Mexique. Voisin de Carranza est le leader agraire Luis Cabrera, qui prend un document où on lit «Ley del 6 de enero »[67], qui contient les premières demandes des agrariens.
Rivera poursuivre la représentation de la révolution dans l’arc central, au-dessus du groupe d’indépendantistes qui a gagné le soutien populaire (le Père Hidalgo et ses partisans) ; de cette manière Rivera crée un lien évident entre le secteur populaire de la guerre d'indépendance et certains révolutionnaires du période récente (SEMO, E., 1989-2, p. 115). Dans une grande bannière rouge, en lettres blanches, on peut lire « Tierra y Libertad ». La figure d'un ouvrier anonyme pointant vers la gauche est à côté de la bannière. Emiliano Zapata détient un extrême de la bannière, l’outre côte est aux mains d’un homme anonyme. Zapata est accompagné par le fondateur du Partido Socialista, Felipe Carrillo Puerto, tué pendant les temps de de la Huerta (le ministre qui s'est levé contre le président Obregón). Il est aussi José Guadalupe Rodríguez, leader agraire assassiné en 1929 qui avait de contactes avec Rivera (LOZANO, L. et CORONEL, J., 2008, p. 199). Peuple et dirigeants sont mélangés dans ce fragment de la représentation de la révolution mexicaine.

Le temps d’Obregón: égalment dans l'arche centrale, en face de la bannière et de Zapata, ils sont les présidents Alvaro Obregón (vers la droite) et Plutarco Elias Calles (légèrement vers la gauche) devant d’un group de soldats. En supposant que la direction des personnages impliqué leur position pour ou contre le courant de l'histoire, Rivera lance une critique au gouvernement de Obregón, un personnage qui pour rester au pouvoir a établi des accords avec les gouvernements et les entreprises étrangères, et a maintenu une fragile pacte de non-agression avec l'église catholique et les secteurs conservateurs du pays. Obregón est situé proche de l'empereur Iturbide, de cette manière Rivera lance une autre critique vers un président qui a été réélu en violation de la Constitution, et a voulu gouverner le Mexique à la suite de ses intérêts égoïstes. Par contre, Calles accompagne avec son geste la direction du progrès, ce qui indique que Rivera représente la première moitié du période de Calles, quand il était le défenseur des valeurs révolutionnaires, et non pas la deuxième moitié, quand il trahi les principes révolutionnaires. En tout cas, les deux sont en opposition à Zapata et la bannière de « Tierra y Libertad ». Derrière Obregón ils sont les conspirateurs: l'homme qui l'a tué, une femme qui a instigué l’assassinat, les chapeaux des capitalistes, les casquettes des évêques, quelques personnages patibulaires, et une pistole. Derrière Calles.

Le présent et le futur de Mexique: Diego Rivera a décrit ce fragment de l’ouvre de cette façon:

I had returned to the National Palace stairway. My vision now crystallized in the acid of my recent bitter experience, I began to paint Mexico today and tomorrow. I depicted the betrayal of the Revolution by self-seeking demagogues. In contrast with their millennial promises, I painted the reality of Mexico today: strikes being crushed; farmers and workers being shot or sent off to the penal colony of Islas Marías. At the top of the stairs, I portrayed Karl Marx exhorting the suffering workers to break their chains, and pointing to a vision of a future industrialized and socialized land of peace and plenty[68].

D’accord le texte, on peut trouvé deux niveaux de lecture: le présent réel et l'avenir révolutionnaire, mais l'interprétation donne à penser que les choses vont beaucoup plus loin[69].
Dans ce dernier part de l’œuvre Rivera représente un grand nombre de personnages liés autour une machine fantastique. En bas, à droite et à gauche, en parallèle à l'escalier, des figures qui développent des activités quotidiennes : le travail de la terre, l’instruction des enfants (las institutrices sont Frida Khalo et sa sœur, qui à l’époque avait une relation amoureuse occulte avec Diego Rivera) ; la construction d’un bâtiment. Il y a quelques figures qui communiquent avec la part supérieur : un groupe au pied de deux pendus ; quelques manifestants en face de la police ; un homme à bras ouverts en criant vers un groupe de femmes qui déposent des monnaies dedans un coffret à la base de la grande machine autour laquelle gire toute la scène. Dans des compartiments fermés de la machine, reliés par les tubes, il y a cinq scènes indépendantes : un orateur s'adresse à un groupe qui regarde en silence (le trompeur Partido Socialista ; l’orateur est Fernando Ocaranza, recteur universitaire) ; à droit, une orgie, avec une femme à moitié nue couchée en embrassant un homme devant d’un demi-cercle qui regarde (la décadence capitaliste) ; à droite de l'orgie, plusieurs personnages comptent des pièces de monnaie (les exploiteurs) ; au-dessus, un prêtre, un politicien et deux soldats, l’un d’entre eux en parlant par téléphone (les collaborateurs « malinchistas » : Calles, Morones, et Ortiz Rubio) ; pour finir, quelques personnages de race blanche autour d'un artefact doré (les hommes d’affaires étrangers: des capitalistes américaines ennemis de Rivera, entre eux, John Rockefeller). À droit des compartiments de la machine il y a une scène d'une violence extrême, dominé par un homme en pointant vers le lieu où lutte un groupe d'hommes armés et une foule qu’arrive exaspérée. Vers l’horizon, tout est destruction. A gauche du chaos, un drapeau rouge suive l'axe de l'homme qui dirige la foule ; à gauche du drapeau, un ouvrier, un paysan et un soldat marchent vers la figure de Marx ; derrière Marx il est le soleil, en fermant le cycle ouverte par Quetzalcóatl; Marx signale au coin supérieur gauche de la peinture, où plusieurs bâtiments industriels sont à côté d’un paysage paisible et prospère. [70]
Marx domine la scène comme une sorte de prophète; Rivera essai de légitimer, avec l’image du philosophe allemand, l'ensemble d’idées développées à la peinture mural. Comment dans ce troisième part de l’œuvre la plupart des personnages sont anonymes, pour aider à comprendre la narration Rivera utilise des textes et symboles: le blason d'un ordre de la charité, les Caballeros de Colón[71], est manipulée pour devenir une croix de l'Allemagne nazie; les textes qui portent les pendus dissent « Por rebelde latrofaccioso COMUNISTA » et « Por rebelde sedicioso AGRARISTA»; sur la terre que les paysans travaillent il y a d'armes, pas des semences ; deux travailleurs se moquent de l’assemblée du Partido Socialista Nacional Mexicano, un d’entre eux a une copie de Das Kapital ; les protecteurs des forces de sécurité passent de la croix à la croix gammée ; une croix gammée est également le signe du Partido Socialista Mexicano; le papier a la main de l’orateur socialiste dit : «Reformismo estatal Socialismo burgués colaboración de clases» ; l'image de la Vierge de Guadalupe est accompagné d'un drapeau du Mexique et un autre des États-Unis, et est situé juste à l'endroit où une machine ramasse les pièces déposées pour les gens humbles, la machine envoie les pièces vers les compartiments où se trouvent les riches ; a côté du coffre on lit «Indulgencias», et « Santo Tribunal de la Penitencia » ; a l’horizon, le monde du future montre des slogans, par exemple : «El que no trabaja que no coma ».
Entre la caricature grotesque (essentiellement tout ce qui est dans la machine distributrice de l'argent), et le comportement exemplaire (en général, tous qu’agissent en faveur de la révolution) Diego Rivera peint le Mexique contemporaine. Contrairement aux outres deux tiers de La epopeya del pueblo mexicano, dans México, presente y futuro il n’y a pas trop des personnages reconnaissables. Le grotesque, en ligne avec l'expressionnisme allemand de Grosz ou Dix, est spécifique à ce fragment de la peinture. Dans les autres deux tiers Rivera représente les épisodes de l'histoire avec une certain neutralité morale, et utilisant la caricature presque exclusivement pour représenter les prêtres de l'Inquisition et les conquéreurs que sadiquement maltraitent aux indiens. Un autre aspect qui change dans ce fragment du mural touche les liens entre Diego Rivera et le pouvoir[72]. Alors que dans les deux premiers tiers de la peinture les personnages sélectionnés sont presque tous des gens morts, et la lecture que fait Rivera de l’histoire du Mexique est, en général, bien adaptée aux intéresses du régime, dans México, presente y futuro la vision de Rivera est presque déconnecté du pouvoir politique, c'est-à-dire, ces employeurs. Le résultat: Rivera semble se fermer dans leur propre monde, et il prend la vengeance personnelle en caricaturant leurs anciens employeurs américains et mexicains[73], pour finir avec le même geste de défi qui a conduit à la catastrophe aux Etats-Unis : représenter à Marx dans une position principal, de la même manière que, au Rockefeller Center, Rivera avait occupé une partie de l'espace avec un portrait de Engels.

At that moment the conception of the National Palace stairway mural, which I had begun to plan in 1922, flashed to completion in my mind –so clearly that immediately upon my arrival in Mexico, I sketched it as easily as if I were copying paintings I had already done.
The National Palace stairway raises broadly and majestically from a wide inner court, then forks the first flight to right and left. For the wall of the right staircase, I envisioned Mexico before the Conquest: its popular arts, crafts, and legends, its temples, palaces, sacrifices, and gods. On the great six-arched central wall, I would paint the entire history of Mexico from the Conquest through the Mexican Revolution. At the triangular base, I would represent the cruelties of Spanish rule, and above that, the many struggles of my people for independence, culminating in the outer arches, in the lost war with the northern invaders, and the final victory over the French. The four central arches would show aspects of the Revolution against Diaz and its reverberations in the strife-torn years of Madero, Huerta, Carranza, Obregón, down to the ugly present of Plutarco Calles.
On the wall of the right staircase, I would paint the present and the future. Naturally, I was less certain or the course to which the present tended than of the past. I would consume much time circling backward to find the right point from which the future could be projected until, after six years, my preliminary perspectives would be sharpened by the destruction of my mural in Rockefeller Center[74].

On voit dans ce texte l’incertitude en relation à la façon de représenter le présent et le futur au moment de penser les croquis. Le texte vient des entretiens faites à 1944, dix ans après avoir terminé La epopeya del pueblo mexicano ; peut-être Rivera tente de justifier le changement des croquis originaux, même si, curieusement, ce travail n'a pas réveillé la controverse qui accompagnait à Rivera (chaque présentation publique de ses peintures murals était suivie, presque inévitablement, par un scandale). 
Il est important de noter aussi que les mécanismes proposés par Rivera pour suivre le développement du récit sont différents dans México, presente y futuro. Par exemple, dans les deux premiers tiers du mural il y a la loi en relation à la direction des personnages ; dans México, presente y futuro ce loi n'est pas respectée; on voit dans la zone centrale des personnages de la réaction ou de la révolution tournés vers la gauche et la droit[75] égalment. Il veut dire que le présente est le moment de la confusion, ou Rivera a choisi, pour des raisons plastiques, oublier sa loi?
Dans México, presente y futuro on trouve pas, comme dans les deux tiers antérieurs, le mouvement général du récit de la droite vers la gauche de l'image; ici, l'élément qui guide l'œil est, curieusement, une machine ; la structure métallique de la machine guide et sépare les scènes de la peinture. A l’intérieur de la machine ils sont les exploités et les opprimés, soumis par les forces de sécurité ; les trompeurs socialistes[76] ; les prêtres, les militaires et les politiciens corrompus ; la bourgeoisie dépravée et, enfin, les capitalistes étrangers. A l’extérieur de la machine ils sont, en bas, les travailleurs et les paysans, les enfants qui se préparent pour l'avenir et, en haut, les masses révolutionnaires victorieuses et la destruction de l’ancien ordre (symbolisé par la cathédrale du Mexico en flammes) ; pour finir, il est la figure de Marx pointant vers le nouveau ordre et, à côté, un paysan, un soldat et un travailleur ; vers l’horizon on voit le nouvel ordre, avec les bâtiments des coopératives et des industries nationalisées. La décision de Rivera de choisir une machine pour structurer sa composition a des antécédents:

My Detroit Institute mural consists of twenty-seven panels divided roughly into three levels; at the base, inset scenes depict events in the workers’ day; at the main level, from the base mouldings to the tops of the columns, the major area of the composition, are shown machines in motion; on the upper level, the painting represents the physiography of the region, its soil, its minerals and fossils, its lake and river transport, and finally, directly under the rafters, its civilian and military aviation and races of man. In panel after panel, the undulating wave reappears –in the giant steel conveyor belts, in the tubes and piping, and in the strata of the subsoil[77].

La particularité ici vient parce que, contrairement aux machines de Detroit, qui reproduisent fidèlement certaines des utilisées à l'usine d’automobiles Ford[78], Rivera représente un dispositif qui n'existe pas, le fruit de son imagination, utilisé pour envoyer les monnaies des fidèles vers un ensemble de personnages variés, unis par le fait d’être les ennemis de la Révolution : des capitalistes, des bourgeois, des ecclésiastiques, des chefs militaires, des politiciens corrompus, des faux leaders populaires. Vers 1936 Charlie Chaplin a introduit aussi une machine dans une des scènes les plus mémorables des Modern Times, mais la machine de Chaplin mange et excrète au travailleur, tandis que la machine de Rivera accueille et protège aux ennemis du peuple.
La relation de Rivera avec la modernité est ambigu; dans La epopeya del pueblo mexicano les oppresseurs sont toujours technologiquement plus avancé (depuis les espagnols pendant la conquête jusqu’au les capitalistes étrangers à l’actualité), et les opprimés vivent toujours des activités simples (indigènes, paysans, ouvriers). Rivera parle d’une modernisation nécessaire pour l’arrivée de la révolution communiste, d’accord aux fondateurs de la doctrine, mais cette modernisation pareil sorti des manuelles[79] plutôt que d'un processus prévisible à partir de l'étude de l'histoire du Mexique contemporain[80]. Quelques ans après du México, presente y futuro Diego Rivera a écrit:

En nuestros países jamás ha habido una clase social capaz de ejercer el poder como tal, desde la colonización ibérica:
La clase de base, la campesina, se subdivide aquí en muchos estratos, desde el siervo oprimido y semisalvaje, vuelto así por cinco siglos de explotación, subnutrición, miseria e incultura, hasta el ranchero individualista y desorganizado y el gran terrateniente postfeudalista o neofeudalista. Tal clase heterogénea no puede ser capaz de ejercer el poder como tal.
El proletariado, debido a la falta de industrialización de todos los países más al sur del río Bravo, es poco numeroso y padece de pauperización, desorientación y división que corresponden lógicamente al carácter subalterno y subordinado al capital extranjero de una industria todavía raquítica e impotente que no está sostenida por una economía nacional puesto que ninguno de nuestros países ha sido capaz de realizar su independencia en este terreno.
La burguesía, que en el actual periodo histórico debería llenar aquí su papel progresivo, nunca ha existido realmente en estos países del sur del Bravo. El colonizador español era la rebaba de los feudales de la metrópoli y pretendió hacer sobrevivir en América el feudalismo que moría en Europa bajo el empuje arrollador de la Reforma y la Revolución burguesa inglesa que finalmente cortó la cabeza del rey; corrientes progresivas que en las alternativas de la lucha enviaron a Norteamérica, como colonos a los más duros de sus elementos, quienes más tarde, desde ahí, a través de la Revolución francesa, realizaron sobre los países más adelantados del mundo la revolución burguesa. Ésta no pudo realizarse en los países retardados bajo diversas formas del feudalismo tales como los de África, Asia y Amerindia ibérica.[81]

Rivera, pessimiste, semble résigné à n’arriver pas à voir la révolution communiste; seule la guerre semble le donner des espoirs:

Pero todo lo malo de esto no importa, señoras y señores míos. Nuestra “gloriosa”, y la “gran guerra mundial del 14”, nada serán junto a la gran danza que se nos viene encima y que apenas ahora empieza. Tal vez, el fuego de esta nueva guerra será suficiente para purificar el mundo, hasta a México, de toda la inmundicia y falsedad, y dejar sobrevivir sólo a los fuertes, capaces de afirmar sin miedo, de producir sin imitar, de vivir siempre listos para matar a aquel que interfiera con su vida, y dejar vivir a los otros tan libremente como él.[82]






CONCLUSION


La personnalité de Diego Rivera présente quelques coïncidences importantes avec l'histoire du Mexique au début du XXe siècle : le chaos et la confusion coexistent avec la clarté des objectifs et le pragmatisme pour arriver à eux ; les pulsions autodestructrices sont mélangées avec la solidarité; l'apathie et l'inertie se déplacent parallèlement à une puissance créative explosive; la forte volonté de changer le quotidien est aux côtés d'idéaux élevés. Si le tournant du siècle a été pour le Mexique une période double et contradictoire (le pays a soutenu des personnages aussi divers que Porfirio Diaz et Emiliano Zapata ; il a pu croire aveuglément au positivisme et a combattu fanatiquement pour défendre l'Église ; il s’est offert ouvertement aux puissances étrangères et a mis toutes son énergie à construire une identité nationale purement mexicaine), l'auteur de La epopeya del pueblo mexicano n'a pas fait moins (il a aimé et adoré des femmes qu'il a ensuite abandonnées dans les pires conditions et de la manière la plus égoïste ; il s’est consacré énergiquement à son ascension en tant qu'artiste pour, tout de suite, détruire son succès avec des détails provocateurs dans ses peintures murales; il a consacré sa vie à un pays où il n'a jamais été content, qui suscite chez lui un mélange de pitié et de mépris ; il a lutté et s’est sacrifié pour une idéologie qu'il a mélangé avec des croyances contradictoires, comme on peut le déduire de ses écrits et des témoignages de ses contemporains
[83]).
Sur cette base, La epopeya del pueblo mexicano ne peut pas être un récit clair et complet de l'histoire du Mexique, un outil pour convaincre aux visiteurs du Palacio Nacional de la nécessité de soutenir et d'encourager la révolution communiste. Si c'était la bonne idée, Rivera n'était pas la bonne personne.
La epopeya del pueblo mexicano est une explosion créatrice, dont la plus grande partie a été peinte dans une période remarquablement courte (quelques mois pour couvrir des centaines de mètres carrés) ; c'est une œuvre libre, ambitieuse, expressive, impressionnante, techniquement très bien réalisée et, avant tout, éclectique. D'une certaine manière Rivera est, dans La epopeya del pueblo mexicano, comme les Indiens de l'époque coloniale qui, pour pouvoir adorer Coatlicue, la déesse mère, ont adopté le culte de la Vierge de Guadalupe ; dans le cas de Rivera, pour poursuivre la recherche des harmonies cosmiques et des lois universelles héritées de la pensée pseudo scientifique de son père, il s’est préparé un marxisme «à la carte ».
Rivera mélange, toujours, consciemment ou inconsciemment, de façon réfléchie ou brute. Des mythes préhispaniques, des récits, des chroniques des conquérants, des théories pseudo scientifiques, des manifestes de l'art d'avant-garde, des livres d'architecture, des contes populaires, des images, des expériences, des croyances, des opinions, des anecdotes sans fondement, tout est là, avec un naturel qui est précisément la plus grande preuve du génie de Rivera. Dans les deux premiers tiers de La epopeya del pueblo mexicano il est fidèle au croquis qu’il a montré et sa représentation est relativement sérieuse (seule une légère ironie apparaît dans un petite texte), mais dans la dernière partie, peinte à son retour des États-Unis, il est clairement infidèle au croquis, il caricaturise, attaque, satirise, et semble mettre tout en œuvre dans sa peinture pour perdre son emploi.
Rivera, comme tous les êtres humains, est un produit de son temps; mais il est un produit curieux, exceptionnel, unique, qui a laissé une œuvre immédiatement reconnaissable et qui constitue le patrimoine fondamental de chacun des endroits où elle a été effectuée. La epopeya del pueblo mexicano est, sans aucun doute, le fragment du Palacio Nacional de Mexico qui attire le plus grand nombre de visiteurs.
Le fait que l’œuvre de Rivera est à la fois compréhensible (du point de vue narratif) et complexe (du point de vue de la technique et des concepts plastiques) a été, peut-être, dans son temps, la formule du succès. Par un ensemble de circonstances particulières, Diego Rivera, peintre d'avant-garde dans le Paris des années folles, a décidé d'utiliser ses connaissances pour créer un ouvrage destiné aux paysans illettrés de l'intérieur du Mexique. Le plus étonnant, c'est qu'il n’a pas échoué dans sa tentative.
Dans La epopeya del pueblo mexicano Riviera a fait un récit visuel monumental sur l'histoire du Mexique, visant à promouvoir la révolution communiste dans l'un des bâtiments publics symboliquement les plus importants du pays. Comment un tel projet a eu lieu au moment où le Parti communiste était interdit et où le gouvernement persécutait, torturait, et tuait les communistes?
En plus de son talent artistique Rivera était extrêmement habile dans son travail de relations publiques, d'autopromotion et de vente. A Paris, il était un ami intime, compagnon et associé, de Pablo Picasso, la grande référence de la nouvelle génération de peintres, et une figure omniprésente dans les endroits à la mode pendant les années folles. Avant, à Madrid, Rivera avait été lié avec les milieux intellectuels de ce pays sombre qu’était l'Espagne à l'époque, et parmi les plus grands amis qu’il a laissés se trouvent Valle Inclán et d'autres représentants de la  Generación del 98 . Plus tard, au Mexique, Rivera sera bientôt le peintre favori du Secrétaire de la Culture José Vasconcelos, chargé de diriger la politique éducative et culturelle du Mexique post-révolutionnaire. Quand, par la pression populaire, le gouvernement met fin au projet muraliste, Rivera est le seul peintre à conserver son emploi et à obtenir de nouvelles commandes. Lorsque Vasconcelos tombe en disgrâce, Rivera « courtise » le nouveau ministre de l'éducation et maintient sa position en tant que peintre de la Cour. Il est si sûr de sa position qu’il décide de laisser le travail à mi-chemin pour répondre à une demande de l'autre côté de la frontière ; à San Francisco Rivera entre dans la « jet set» et, tout de suite, il reçoit une avalanche de commandes de toute l’Amérique du Nord. Au Museum of Modern Art de New York a eu lieu une rétrospective consacrée à Rivera et, malgré son communisme, il est devenu à la mode dans le New York snob jusqu'à la catastrophe du Rockefeller Center. La liste des admirateurs de Rivera compte des personnalités aussi diverses qu' Albert Einstein et Maria Felix (qui parvient à se glisser dans son lit), Charlie Chaplin et Henry Ford.
La réputation internationale a renforcé la position de Rivera au Mexique, mais a aussi contribué à son isolement. Il est curieux que Rivera, avec tout son savoir faire social, n'ait pas réussi à s’entendre avec ses camarades. Son premier voyage en Russie s'est très mal passé ; au Mexique Rivera a été expulsé deux fois du Parti communiste (et chaque fois il est tombé en dépression). Rivera savait réussir, mais sa vocation d’autodestruction était plus forte encore.
Le gouvernement mexicain lui a donné la liberté, mais quand le message de la Révolution mexicaine a commencé à être contre-productif, Rivera, petit à petit, a cessé de recevoir des commandes officielles. Rivera peint La epopeya del pueblo mexicano sans savoir que le gouvernement va bientôt arrêter les commandes ; cette inconscience a favorisé la liberté qui caractérise le dernier tiers de la peinture murale.
Mais la capacité relationnelle de Rivera ne peut pas expliquer vraiment pourquoi le gouvernement mexicain accepte de remplir le bâtiment public le plus important avec de la propagande révolutionnaire marxiste. S'agit-il de négligence? Est-ce la peur du scandale? Le respect pour l'artiste? La méconnaissance du travail? Il est difficile de penser que la cause est ici. 
Un gouvernement qui viole ouvertement et publiquement les droits de l'homme ne semble pas être une victime facile de l'inertie, ou un partenaire prudent, ou un exceptionnel protecteur de l'art, ou un aveugle ignorant des messages que la peinture murale présente (surtout quand il y a un portrait de Marx dans l'un des endroits les plus visibles de l’oeuvre). Il est difficile de savoir ce qui passait par la tête des ministres et des hauts fonctionnaires au moment de monter les échelons du Palacio Nacional, mais peut-être la réponse a-t-elle à voir avec ce caractère double, paradoxal, contradictoire, qu’on a mentionné précédemment ; tandis que le gouvernement recherchait les moyens de promouvoir un modèle de pays conservateur, qui trahit les principes de la révolution mexicaine, il y avait un homme grand, obèse, en train de faire l'équilibriste sur des échafaudages pour promouvoir, avec les meilleures intentions, la révolution prolétarienne et la lutte des classes.





BIBLIOGRAPHIE


ARASSE, D. (2006) Le Sujet dans le tableau. Ed. Flammarion. Paris.

AUSTIN NESVIG, M. (2009) Ideology and inquisition. Ed. Yale University Press. New Haven.

BARTHES, R. (1957) Mythologies. Ed. Du Seuil. Paris.

BENJAMIN, W. (2008) Sobre algunos temas de Baudelaire. Ed. Escuela de filosofía universidad ARCIS. Santiago de Chile.

BIZBERG, I. (1990) Estado y sindicalismo en México. Ed. El Colegio de México. México DF.

BORAH, W. (1954) Race and Class in Mexico. Ed. University of California. Berkeley.

CARERI, G. (2005) Gestes d’amour et de guerre. Ed. de l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. Paris.

CLIFFORD, J. (1988) The predicamment of Culture. Ed. Harvard University Press. Cambridge.

CLIFFORD GEERTZ, J. (1996) After the fact. Ed. Harvard University Press. Cambridge.

CLIFFORD GEERTZ, J. (2001) Available Light. Ed. Princenton University Press. New Jersey.

CLIFFORD GEERTZ, J. (1983) Local knowledge. Ed. Basic Books. New York.

CLIFFORD GEERTZ, J. (1991) Myth, Symbol and Culture. Ed. Norton and Company. New York.

CLIFFORD GEERTZ, J. (1988) The anthropologist as Author. Ed. Stanford University Press. Stanford.

CLIFFORD GEERTZ, J. (1973) The interpretation of cultures. Ed. Basic Books. New York.

CORTES, H. (1963) Cartas y documentos. Ed. Biblioteca Porrúa. México DF.

CORTES, H. (1981) Historia de Nueva España. Ed. Biblioteca Porrúa. México DF.

CORTES, H. (1979)

No hay comentarios:

Publicar un comentario